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Critiques

Anthologie de la littérature latine, Jacques Gaillard & René Martin

Ecrit par Didier Smal , le Jeudi, 23 Avril 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Folio (Gallimard), Anthologie

Anthologie de la littérature latine, Jacques Gaillard & René Martin, 576 pages, 8,00 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Qui a écrit : « combien de gens exercent leur corps, et combien peu leur esprit ! Quelle affluence à un spectacle ludique et sans profit durable, et quel désert autour de la culture ! Quelle débilité de l’âme chez ces hommes dont on admire les biceps et les larges épaules ! » ? Un chroniqueur sportif contemporain en pleine crise mystique ? Eric Zemmour ? Laurent Obertone ? Renaud Camus ? Tout faux : il s’agit de Sénèque, mort il y a mille neuf-cent-cinquante ans, dans sa quatre-vingtième lettre à Lucilius.

Cette petite question a pour double intention de montrer en quoi la littérature latine peut encore s’adresser à des lecteurs du vingt-et-unième siècle, ce dont tout le monde se doutait, puisque c’est un peu la vertu des classiques, mais surtout de montrer la qualité du travail de traduction effectué par Jacques Gaillard et René Martin, les deux anthologistes. Avant même de commenter leurs choix, il convient de célébrer la façon dont ils ont décidé de rendre accessibles ces choix à leurs contemporains. La prose reste en prose ; les vers restent eux aussi en vers, mais en amplifiant la forme lors du passage du latin au français (pour faire bref, deux vers latins deviennent trois vers français, ce qui évite les pertes de sens ou les torsions absconses) et sans chercher à faire rimer ; mais surtout, le vocabulaire est dénué de toute préciosité. Ainsi, je ne résiste pas à reproduire l’une des épigrammes de Martial :

Humeur noire à Venise, Olivier Barde-Cabuçon

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 22 Avril 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Actes Noirs (Actes Sud)

Humeur noire à Venise, Une enquête du commissaire aux morts étranges, Olivier mars 2015, 336 pages, 22 € . Ecrivain(s): Olivier Barde-Cabuçon Edition: Actes Noirs (Actes Sud)

 

« La beauté n’en est que plus belle lorsqu’elle est éphémère. Volnay fit arrêter la voiture pour admirer la vision de cette ville en apesanteur, les flancs caressés par l’eau… La cité flottante se hérissait de clochers et de mâts de bateaux. Voilé d’azur, le soleil levant illuminait de ses rayons les toits des palais et l’eau des canaux renvoyait l’image déformée de ceux-ci à l’infini ».

Venise de jour et de nuit pour Volnay et son moine de père invités à résoudre une énigme – des pendus que l’on retrouve sous les ponts – à éviter un drame – la mort annoncée et programmée du comte de Trissano – L’instant où surgit la vérité a quelque chose de magique qui sort l’homme de sa torpeur. Mais aussi à débarrasser son père de l’humeur noire qui le mine. Venise et ses masques, ses intrigues, ses complots, ses terres et sa mer, ses canaux, ses palais, sa flamboyance en ce XVIII° siècle, le siècle d’Humeur noire à Venise, sous l’œil et la plume de William Shakespeare et de Carlo Goldoni et sous la haute protection de Marco Polo.

Dépendance day, Caroline Vié

Ecrit par Martine L. Petauton , le Mercredi, 22 Avril 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Récits, Jean-Claude Lattès

Dépendance Day, février 2015, 212 pages, 17 € . Ecrivain(s): Caroline Vié Edition: Jean-Claude Lattès

 

Alzheimer ; les démences ; séniles, ou un peu moins. On les lit parfois – plutôt peut-être en essais ; on les regarde – plutôt en documentaires. Mais, progressivement, ça gagne du terrain, parce que c’est la vie de nos vieux parents, de cette voisine, pourtant pas si mamie que ça ; parce qu’à la fin, c’est nous, nos imaginaires, nos projections, que la chose attaque. Sinistre et mortifère fin de jeu de dominos. Alzheimer. Terreur à portée de nous tous.

Le livre de Caroline Vié – son roman ? – son récit probablement, pose là devant nos yeux, des destins de femmes – trois générations, et la moitié d’une autre. « Sous le marronnier du jardin, trois générations réunies… » chantait Francesca Solleville, d’une dure, mais, ensoleillée vie de femmes.

De mère en fille, ici, toutes, à un moment, voient se poindre l’hydre des cauchemars ; celle de la mémoire à trous, puis en lambeaux infimes. Une vie, des apprentissages, des manières, des usages, des savoirs, bien sûr – ce poème, cette chanson ; ces visages et ces lieux, qui se défont, goutte après goutte, et détricotent la charpente jusqu’au quasi rien final. Pernicieux mal, qui tue autrement que la mort franche.

Courants blancs, Philippe Jaffeux

Ecrit par Marie-Josée Desvignes , le Mardi, 21 Avril 2015. , dans Critiques, Les Livres, Livres décortiqués, La Une Livres, Poésie

Courants blancs, Ed. L’Atelier de l’agneau, 2014, 80 pages, 16 € . Ecrivain(s): Philippe Jaffeux

 

 

Une cathédrale de mots ! Pas au sens qu’en donnait Proust mais dans la construction monolithique de chaque page composée de vingt-six lignes, vingt-six aphorismes qui hésitent entre récit (imp/passé simple) – où l’imparfait a ce rendu « mélancolique » que lui reconnaissait Proust encore – réflexion et poésie. La quatrième de couverture signale : aucun de ces « courants » n’a été écrit ; ils ont tous été enregistrés avec un dictaphone numérique. Précaution essentielle tant on sent le souffle langagier d’une parole qui s’éprouve et se creuse dans le silence. L’incipit est prometteur : Il se noya dans un cercle lorsqu’il confondit l’eau avec une quinzième lettre solaire. On est averti, on a déjà un pied dans l’O, le rond de la spirale ou le tourbillon qui va nous aspirer. Ce premier aphorisme annonce ainsi au lecteur un avertissement à se perdre lui aussi dans la suite onirique que recèlent ces « courants » dont l’élément eau, associé à celui de l’air, avertit qu’on va nous aussi plonger profond.

La Maison au toit rouge, Kyoko Nakajima

Ecrit par Stéphane Bret , le Mardi, 21 Avril 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Seuil, Japon

La Maison au toit rouge, traduit du japonais par Sophie Refle, mars 2015, 301 pages, 21 € . Ecrivain(s): Kyoko Nakajima Edition: Seuil

 

Une dame d’âge respectable, Taki, rédige pour son neveu les souvenirs de ses années de service passées dans la famille Hirai, un foyer de la bourgeoisie tokyoïte. Le maître de maison est sous-directeur d’une entreprise de jouets, passablement prospère. Il a fait construire récemment une maison à Tokyo pour son épouse, Tokiko, et le fils de celle-ci. Tout le récit du roman de Kyoko Nakajima est articulé autour du basculement incessant entre deux époques, celle des années 30 du Japon de l’entre deux-guerres, conquérant, impérialiste, mais où il fait bon vivre, où les mœurs sont stables, confinent à l’immobilité ; et le Japon des années soixante, celui de la croissance économique, d’une entrée dans le monde occidental, au moins en apparence…

Ainsi, la narratrice souligne-t-elle le temps que les maîtresses de maisons dignes de ce nom devaient passer à préparer le nouvel an, à peaufiner la préparation des mets, à la visite systématique de tous les voisins… Tâches perçues pourtant par Taki comme nobles, valorisantes. Dans le domaine de la perception de l’histoire de son pays, Taki, peut-être à l’instar d’une grande majorité de ses compatriotes, revisite l’histoire de son pays d’une manière surprenante, qu’un observateur contemporain pourrait aisément qualifier de révisionniste. Le fils de son neveu, Takeshi, lui fait remarquer que le Japon faisait déjà la guerre en 1936 :