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Critiques

Ovaine, La Saga, Tristan Felix (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 06 Mai 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Tinbad

Ovaine, La Saga, avril 2019, 228 pages, 23 € . Ecrivain(s): Tristan Felix Edition: Tinbad

Les folles aventures d’Ovaine

Les aventures d’Ovaine avancent d’elles-mêmes ou plutôt à coups de l’imaginaire hors prix d’une auteure dont l’industrie de faux s’organise en vol d’étourneaux. Ces oiseaux ne sont pas les seuls : le chant ou la fable s’organise (entre autres) comme un bestiaire là où tout avance staccato et sprezzatura.

Monté chronologiquement, ce roman (mais est-ce le bon mot même s’il est ici revendiqué comme tel ?) crée une étrange humanité. Dans chaque moment, Tristan Felix ne rate jamais sa cible là où est pourtant tout affaire de segmentions et biffures joyeuses.

Séquences par séquences, temps par temps, s’inscrit non une vie mais sa multiplicité de postulations en rafales et éclairs fulgurants. D’où la renaissance perpétuelle d’Ovaine en ses métamorphoses. Ovide et Cervantès ne sont jamais loin. Kafka non plus (et paradoxalement). Mais un Kafka enjoué et excité et qui passerait outre la majesté de l’autorité. Ovaine est ici fêtée et autoproclamée dans une frénésie vitale et jubilatoire qui repose autant en harmoniques qu’en dissonances.

Eltonsbrody, Edgar Mittelholzer (par Théo Ananissoh)

Ecrit par Theo Ananissoh , le Vendredi, 03 Mai 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Amérique Latine, Roman, Editions du Typhon

Eltonsbrody, février 2019, trad. anglais (Guyana) Benjamin Kuntzer, 250 pages, 20 € . Ecrivain(s): Edgar Mittelholzer Edition: Editions du Typhon

 

Eltonsbrody est le nom d’une maison – une grande maison située à l’écart de tout et de tous sur l’île de la Barbade, dans les Caraïbes.

« Staden, où se dresse Eltonsbrody, considéré comme une “colline”, est en réalité une sorte de plateau dont le sommet relativement égal plonge en ondulations délicates vers le sud et l’ouest. Côté mer, il s’effondre plutôt abruptement en saillies et escarpements déserts (…). Eltonsbrody (…) était une bâtisse de deux étages, aux murs de calcaire gris décrépits. Elle avait été érigée, à en croire la date gravée au-dessus de la porte d’entrée, en 1887. En dépit de son isolement au cœur de vastes étendues cernées de rares champs de canne côté terre, et de la descente escarpée côté mer, Eltonsbrody, telle que je l’avais vue pour la première fois en ce jeudi saint de l’année 1958, ne paraissait pas menaçante ».

La Collection Emil Bührle (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 03 Mai 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Gallimard, Arts, Albums

La Collection Emil Bührle, Lukas Gloor, Gallimard, mars 2019, Catalogue d’exposition, 190 pages, 35 € Edition: Gallimard

L’art en témoignage

Le catalogue de la Collection Bührle, dont la couverture est agrémentée d’un détail du Champ de coquelicots près de Vétheuil, de Monet, de 1879, relate le cheminement des acquêts de l’industriel et le répertoire d’une partie de sa collection. L’exposition de cette collection, au Musée Maillol à Paris du 20 mars au 21 juillet 2019, sous l’égide de Culturespaces, a déclenché une vive polémique. D’une part, parce qu’Emil Georg Bührle (1890-1956) a dirigé une grande entreprise industrielle « dans le cadre du réarmement secret de l’Allemagne » (L. Gloor), en rachetant les parts de l’usine Oerlikon-Bührle & Co en 1937, et d’autre part, à cause de révélations sordides, liées à la spoliation de biens et d’objets précieux ayant appartenu à des citoyens juifs (désignés comme tels par les nazis). Ainsi, il était donc utile de connaître les noms des commissaires-priseurs des grandes maisons de ventes aux enchères, de suivre la chronologie de tout un commerce d’œuvres d’art, identifiées comme acquises légalement dans un premier ou un second temps. Des dates, des noms et des lieux témoignent des transactions financières durant le 3ème Reich notamment, ces tableaux servant souvent de monnaies d’échange. Par la suite, l’on apprend qu’Emil Bührle a restitué et racheté « les derniers tableaux spoliés [et que jusqu’à sa mort il] acquérait en propre une centaine d’œuvres par année ».

L’Anneau de Chillida, Marilyne Bertoncini (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 03 Mai 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie

L’Anneau de Chillida, L’Atelier du Grand Tétras, mai 2018, 80 pages, 13 € . Ecrivain(s): Marilyne Bertoncini

 

« Mes anneaux de souvenance » guident le lecteur vers le centre de l’entreprise poétique de Marilyne Bertoncini, vouloir dans l’esprit d’une « genèse » de soi, rameuter comme le ferait l’éclair de magnésie les ombres et les profils, et les reliefs de ce qui s’est perdu. Ainsi en va-t-il de Leyla, lors d’une quête insensée. Ainsi en va-t-il des marques de l’été, au coin des terrasses, pour s’appesantir sur les moindres changements, tropismes de l’âme de celle qui peut écrire :

 

Le matin s’avance masqué dans l’ombre

des nuages

Lente l’aube s’étire dans les ramures grises (p.46)

Le jour fait l’adieu, Zohra Mrimi (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Vendredi, 03 Mai 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Maghreb, Z4 éditions

Le jour fait l’adieu, mars 2019, 114 pages, 12 € . Ecrivain(s): Zohra Mrimi Edition: Z4 éditions

 

Chez Zohra Mrimi, la solitude se conçoit de façon artistique : « Je blanchis ma solitude comme un tableau de maître » dit-elle. Fondante sur les lèvres, suggérée aux anges, cette solitude parfaitement apprivoisée, évoquée dans des jeux d’ombre en noir et blanc, inversant d’ailleurs les couleurs dans leurs rôles « normaux », se fait davantage sentir « quand un poète s’absente ».

La poète avance avec sa déclaration d’Amour à la boutonnière, multipliant la progression émotive de ce qu’elle dit : « Je t’aime/Je double mes pas/double mes jours ».

Comme dédoublée d’une absence, l’auteur a ce recul nécessaire pour prendre conscience, se servant sans doute d’un paysage familier, que « l’Amour ne passe pas vers telle sécheresse ».

Vulnérable, la protagoniste énoncée à la troisième personne, semble être une projection de celle qui écrit, une sorte de miroir : « Elle est libre/Elle est nue/Elle est invisible aux couteaux qui la tuent/Le rythme de l’agonie est visible ».