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Critiques

Ode au corps tant de fois caressé, Christophe Fourvel (par Sylvie Zobda)

Ecrit par Sylvie Zobda , le Jeudi, 14 Novembre 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman

Ode au corps tant de fois caressé, Médiapop Editions, octobre 2019, 30 pages, 7 € . Ecrivain(s): Christophe Fourvel

 

Le ton est donné dès le titre, le nouveau roman de Christophe Fourvel évoque poésie et expression des sentiments. Tout commence par un air de violon et de piano qui annonce la douceur de l’instant, la voix de Peter Hammill qui se pose sur les gouttelettes en suspension de la salle de bain. Une femme est nue sous l’eau délicieusement tiède. Tous les signes de sensualité et d’abandon sont présents. Un homme regarde sa femme qui se douche. Il se confesse, entame un monologue, une ode à celle qui partage sa vie. La chanson Automn se glisse entre les lignes du roman. Le temps passe et l’automne du narrateur arrive comme un novembre brumeux, installant une nouvelle saison, celle du déclin de la vie après un été brûlant. Que reste-t-il de sa fouge et de son désir ? Pourquoi garde-t-il les mains dans les poches, sans bouger ? Que reste-t-il de son amour ?

Loin d’un Ronsard qui presse sa Cassandre de cueillir la rose avant que la vieillesse ternisse sa beauté, le narrateur s’emploie à la déconstruction d’un mythe.

La panthère des neiges, Sylvain Tesson (par Parme Ceriset)

Ecrit par Parme Ceriset , le Jeudi, 14 Novembre 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Gallimard

La panthère des neiges, octobre 2019, 176 pages, 18 € Edition: Gallimard

 

Avec La panthère des neiges, Sylvain Tesson nous embarque dans une aventure d’un genre nouveau. L’auteur, qui est connu pour être constamment en mouvement d’une expédition à l’autre, découvre cette fois la patience et l’art de l’affût pour guetter l’apparition de la faune sauvage. Cette approche est un réel apprentissage pour celui qui considérait jusqu’alors l’immobilité comme « une répétition générale de la mort ». L’initiation débute dans une forêt des Vosges où son ami Vincent Munier, photographe animalier, lui fait découvrir l’observation des blaireaux.

Munier lui propose ensuite de le suivre sur les plateaux du Tibet pour aller à la rencontre de la panthère des neiges qui se réfugie dans les zones de hautes altitudes pour échapper aux braconniers. Commence alors une merveilleuse immersion dans des paysages décrits avec beaucoup de poésie : « La panthère des neiges vit dans le cristal ».

Le tunnel, Avraham B. Yehoshua (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 12 Novembre 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Grasset, Israël

Le tunnel, février 2019, trad. hébreu Jean-Luc Allouche, 431 pages, 22,90 € . Ecrivain(s): Avraham B Yehoshua Edition: Grasset

 

Un tunnel n’est pas qu’un passage, c’est aussi un contournement. Cela peut être aussi une restriction de la vision, du sens, une réserve. Dans ce roman, il devient l’allégorie d’une échappée dont la fin, le bout justement, échappe : on en sait l’entrée, jamais la sortie. C’est d’abord un projet que Zvi Louria, ingénieur des Ponts et Chaussées en retraite, fait tout pour mener à bien, porteur lui-même de son propre petit tunnel, cette petite tache sombre qui s’agrandit, creuse son cerveau et sa mémoire, embrouille les données, crée des raccourcis.

Le roman s’ouvre sur la visite de l’ingénieur chez le neurologue à la suite d’une « petite » confusion : Zvi s’apprêtait à ramener chez lui, en lieu et place de son petit-fils, un autre enfant de la garderie. Tout est histoire de distraction : détourner une route, détourner son attention, ou plus exactement la porter ailleurs. Dans ce pays, les relations humaines sont à double tranchant. Ben-Zvi, un ancien président d’Israël dont le portrait trône dans l’ex-bureau de Zvi, en témoigne :

Jour tranquille à Vézelay, Xavier Gardette (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 12 Novembre 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman

Jour tranquille à Vézelay, La Chambre d’échos, avril 2019, 92 pages, 13 € . Ecrivain(s): Xavier Gardette

 

La devise informelle de l’ordre cartusien le proclame non sans une pointe de fierté : Stat crux dum volvitur orbis : La croix demeure immobile tandis que le monde tourne. Encore la traduction française rend-elle mal, comme c’est souvent le cas, la concision du latin et ses harmoniques propres (le verbe volvere se retrouve dans nos révolutions, au sens astronomique ou politique). Cette formule pourrait figurer en épigraphe du Jour tranquille à Vézelay. La basilique qui abrite une relique de sainte Marie-Madeleine – ou Marie de Magdala – se dresse sur sa colline, battue par les vents de l’Histoire. Elle figure « sur la courte liste des lieux où souffle l’esprit » (p.55). La croisade y fut prêchée, mais pas seulement : Romain Rolland vécut dans le village et Georges Bataille repose dans le cimetière. Jim Harrison vint non loin de Vézelay faire un repas digne de figurer dans les fastes de la gastronomie française, désormais pièce de musée. La colline immuable voit chaque jour ou presque passer son lot de pèlerins et, surtout, de touristes – concession à la modernité sécularisée. Parmi eux, combien sont capables de comprendre l’endroit où ils se trouvent, ce qui s’y est joué et peut-être s’y joue encore ? En un jour et même en une heure, des « vies minuscules » s’y croisent puis s’éloignent à jamais. À l’aune des siècles, même les couples qui durent – et ils durent de moins en moins, comme tout le reste – ne représentent pas grand-chose.

Si rude soit le début, Javier Marías (par Jean-François Mézil)

Ecrit par Jean-François Mézil , le Vendredi, 08 Novembre 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Espagne, Folio (Gallimard)

Si rude soit le début (Asi empieza lo malo), Javier Marías, Gallimard Folio, septembre 2019, trad. espagnol Marie-Odile Fortier-Masek, 598 pages, 9,50 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Arrêtons-nous d’abord sur le titre. Juste pour signaler que Juan Marías l’emprunte à Shakespeare (« Thus bad begins and worse remains behind », Hamlet, III, 4) et lire ce que lui-même nous en dit : « Ce qui se passe est passé, irréversible, tels sont la terrible évidence, le poids écrasant des faits. Sans doute vaut-il mieux […] accepter qu’ainsi va le monde. […] Ce n’est qu’une fois que nous avons hoché la tête et haussé les épaules que le pire sera derrière nous, parce qu’au moins il sera déjà passé. Et ainsi le mal ne fait que commencer, le mal qui n’est pas encore arrivé ».

Il y aurait donc une forme de sagesse (toute shakespearienne, s’agissant d’Hamlet) à considérer le mal comme rattaché au passé. Ce faisant, le pire n’est plus à venir : dès le début, il est en germe : dès le début, il nous écrase – aussi vrai que l’arbre en entier est enfermé dans le noyau.

Bien ! Laissons de côté le titre et parcourons un peu le livre.