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Les Chroniques

Les couleurs de l’air, Igor Mendjisky (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 02 Février 2021. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Les couleurs de l’air, Igor Mendjisky, Actes Sud-Papiers, octobre 2020, 144 pages, 15 €

 

Le mensonge, quel est-il ?

Lire cette pièce d’Igor Mendjisky a été pour moi un double plaisir. D’abord celui de me trouver face à une réflexion sur les sujets complexes du temps, du présent de l’écriture scénique, des liens au passé aussi, à la mémoire, à ceux qui conduisent le dramaturge vers l’écriture, la création. Ce questionnement a fini par devenir l’arête principale de ma lecture. Puis, sans doute à cause d’une espèce de hasard, cette pièce, qui traite de la relation au père disparu, est venue vers moi alors que je viens de perdre mon père il y a trois mois. J’ai donc frémi à travers ce lien étrange du mort au vivant, du père au fils, et avec cette relation, retraversé une sorte d’inquiétude à demi-apaisée. J’ai plongé en moi. Et derrière cette traversée des apparences des Couleurs de l’air, j’ai eu accès à une folie contrôlée, à des ellipses, à l’éclipse de la rationalité, l’invention d’un père subjectif – ici pas tout à fait le mien, et peut-être non plus pas tout à fait celui d’Igor Mendjisky.

La nuit shakespearienne et le cinéma de Kurosawa-III Full of sound and fury : le délire, la fureur, la nuit (par Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Lundi, 01 Février 2021. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

Full of sound and fury : le délire, la fureur, la nuit

Certains trouvent hors d’eux-mêmes le motif de leur crime, tel l’étranger qui accuse le soleil de l’avoir poussé au meurtre. Tandis que l’acte est l’objet d’un « mûrissement » dans le King Lear et d’une « disponibilité » dans Hamlet, selon la terminologie d’Yves Bonnefoy (1), il advient dans Macbeth comme une décision subite et précipitée, illustrée par l’instabilité permanente du samouraï dont le pas est toujours tremblant et frénétique, dans

 

Le Château.

« A bell rings

I go, and it is done. The bell invites me.

Hear it not, Duncan, for it is a knell

That summons thee to heaven or to hell » (2)

 

lit-on d’ailleurs dans Macbeth, laissant supposer que le glas est le véritable assassin de Duncan. Comprendre l’apocalypse shakespearienne requiert d’interroger non plus la genèse de cette apocalypse, mais son contenu et son déroulé, plein de bruit et de fureur.

À rude épreuve (La Saga des Cazalet II), Elizabeth Jane Howard (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 29 Janvier 2021. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Iles britanniques, La Table Ronde

À rude épreuve (La Saga des Cazalet II), Elizabeth Jane Howard, La Table ronde, octobre 2020, trad. Cécile Arnaud, 608 pages, 24 €

 

Au temps du Blitz

Tout d’abord, voici l’arbre généalogique du premier tome de La chronique des Cazalet, Étés anglais, d’Elizabeth Jane Howard (1923-2014). Les deux arrière-grands-parents, William Cazalet (le Brig) et Kitty Barlow (la Duche), ont engendré quatre enfants : Hugh, époux de Sybil Carter, parents de Polly, Simon, William ; Edward, époux de Viola Rydal, à leur tour parents de Louise, Teddy, Lydia, Roland ; Rachel, restée célibataire ; Rupert, mari de Zoë Headford, qui ont eu Clarissa, Neville, Juliet. L’autre famille, Raymond et Jessica Castle sont parents d’Angela, de Nora, de Christopher et de Judy. Ce petit monde de la classe moyenne est servi par treize domestiques, plus une préceptrice. Comme il est indiqué dans la préface, le premier tome Étés anglais « s’achevait en 1938 avec le discours de Chamberlain à son retour de Munich – “la paix dans l’honneur” ».

Femmes, Nizar Kabbani (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mercredi, 27 Janvier 2021. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie, Pays arabes

Femmes, Nizar Kabbani, Arfuyen, novembre 2020, trad. arabe, Mohammed Oudaimah, 68 pages, 12 €

 

Mais pour elle, – de moi vers elle, – oserai-je dire et observer ! Elle, qui retint plus que tout ami en moi ; que j’appelle sœur aînée délicieuse ; que je sers comme Princesse, – ô mère de tous les élans de mon âme […]

Victor Segalen

 

Du féminin

Nous savons que le poète, qu’il soit oriental ou occidental, taille le monde pour le rendre à lui-même, augmenté de la parole imagée. Ainsi, ce sont les grands sujets qui hantent souvent l’enfant d’Apollon. Il est près du beau, de la jouissance esthétique. Ce recueil de 25 poèmes de Nizar Kabbani illustre très bien cette situation donnée au créateur. Là, il peut ouvrir le vaste chant, le vaste champ d’investigation du féminin, à la fois grâce au désir, au souffrir, au pleurer, à toute formes de liens, liens plus forts que le désir lui-même, peut-être. Femmes est de cette espèce.

La nuit shakespearienne et le cinéma de Kurosawa-II A tale told by an idiot : la langue, la scène, la prophétie (par Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Mardi, 26 Janvier 2021. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

En un sens, on pourrait dire que le drame shakespearien embrasse une période plus longue que le seul moment de la pièce. Le statu quo de la tragédie, qui s’établit sinon immédiatement, du moins après quelques scènes, repose sur une privation : Hamlet sans père, Lear sans enfants, Macbeth sans roi. Cette privation suppose donc un état antérieur où les éléments étaient encore réunis et mêlés : tel est le propre de l’apocalypse, qui renverse un ordre établi et instaure le chaos comme nouvel ordre. Comment ce renversement advient-il ? Par une triple modification à l’œuvre chez Shakespeare et Kurosawa, habilement orchestrée par le narrateur : modification du discours, du personnage et du réel.

 

Le miel et la ciguë

« Look with thine ears » (1)

 

La disproportion entre l’origine de l’intrigue shakespearienne et le déchaînement des forces qui suit a de quoi surprendre. Il suffit d’un mot à Iago pour tromper Othello, d’une phrase à Cordelia pour décevoir son père, d’un oracle à Macbeth pour le pousser au crime. Autrement dit, la mort vient par l’oreille : au sens figuré dans Othello, King Lear et Macbeth ; au sens propre dans Hamlet puisque Claudius verse du poison dans les oreilles du roi (2).