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Nouvelles

Grand Union, Zadie Smith (par Ivanne Rialland)

Ecrit par Ivanne Rialland , le Mardi, 24 Août 2021. , dans Nouvelles, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Iles britanniques, Gallimard

Grand Union, Zadie Smith, mars 2021, trad. anglais, Laetitia Devaux, 284 pages, 21 € Edition: Gallimard

 

Ce premier recueil de nouvelles de Zadie Smith regroupe des textes parus pour certains dans le New Yorker ou The Paris Review. Tous, même les plus fantaisistes, sont en prise avec l’actualité, et laissent lire un net engagement politique, par le choix des personnages, des thèmes, des points de vue : femmes noires méditant sur leur vie, transsexuel essayant un corset, retour sur le meurtre, à Londres, en 1959, de Kelso Cochrane par de jeunes blancs.

Le recueil frappe par la variété des genres et des formes narratives. Certains textes sont des manières de fables ou de contes moraux, comme La rivière paresseuse, brève satire du mode de vie occidental, ou Situation de blocage, qui met en scène de façon amusée le Créateur. L’un des textes les plus forts est Deux hommes arrivent dans un village, qui relate le viol de l’ensemble des filles d’un village dans un style travaillé par l’oralité et la poésie des légendes. L’horreur de la situation en est certes ainsi estompée – ce n’est pas le reportage que vise Zadie Smith – mais c’est pour faire apparaître la question, morale, du sens de ces viols, de la construction de leur sens à travers le récit : le récit du violeur, refusé par la femme du chef, celui que tisse Zadie Smith à la première personne du pluriel, englobant le lecteur, la lectrice, dans un nous féminin.

Souffles avant, Geneviève Catta (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Jeudi, 08 Juillet 2021. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Souffles avant, Geneviève Catta, nouvelles, Le Lys Bleu, avril 2021, 96 pages, 11,50 €

 

D’emblée la première nouvelle commence par un dialogue. Le ton du rythme est donné. La vie de tous les jours, surdimensionnée par quelque chose d’extraordinaire, fait surface dans ce style contemporain où alternent introspections et scènes avec souvent « le souffle » pour fil conducteur, ce qui n’est pas banal, et avec aussi, souvent, l’écrit, le mot, le poème, voire la musique, le tout semblant avoir une vérité sociologique particulière : « S’envelopper dans sa tête, chrysalide patiente sur l’empreinte d’hier, l’alternance nourricière du va-et-vient du nouveau fera surgir les mots, bientôt oui, doucement. Emeline s’échauffe à son frémissement et les mots affleurent, oui, oui, le nouveau jouit à la cadence obstinée et lancinante d’Enigma, les yeux sur elle. Et voilà les mots… ».

L’évènement imprévu fuse au moment où on s’y attend le moins. La vie bascule avec parfois une certaine ironie à rappeler le point fort de l’individu obligé de réagir. Comme en écriture parfois, le mot blanc de la vie transcende les mots remplis.

Zamour et autres nouvelles, William Goyen (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 06 Juillet 2021. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Actes Sud

Zamour et autres nouvelles, William Goyen, Actes Sud . Ecrivain(s): William Goyen

 

Parmi les grands écrivains du XXème siècle sudiste, William Goyen est assurément celui dont l’écriture constitue un sommet poétique. La Maison d’Haleine – probablement son chef-d’œuvre – nous avait montré la puissance de son style, son incroyable capacité à élever la narration romanesque à des hauteurs rarement atteintes. La Maison d’Haleine est un immense poème autant qu’un roman. Un chant douloureux et élégiaque à la solitude, à l’amour blessé, à la misère, au Sud enfin, dans ses incurables blessures. Ici, dans ce précieux collier de onze nouvelles, la maîtrise stylistique semble à un aboutissement indépassable. On y entend le flot et la force de Thomas Wolfe avec – comme une matière à l’œuvre – la rumeur poétique inimitable de Goyen. On y retrouve – comme dans une irrigation permanente – la foi chrétienne de Goyen, celle qui jamais ne l’a quitté, de l’enfance jusqu’à Arcadio et Une vie de Jésus, une foi qui s’entend dans la musique biblique des phrases, dans les portraits des personnages, dans les nœuds et dénouements de ces nouvelles.

Une nuit en Acadie, Kate Chopin (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 30 Juin 2021. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Editions des Syrtes

Une nuit en Acadie, Ed. des Syrtes, trad. américain, Marie-Claude Peugeot, 152 pages, 15 € . Ecrivain(s): Kate Chopin Edition: Editions des Syrtes

 

Comme une série de tableaux vivants, la trop rare Kate Chopin, brillant météore de la littérature créole du Sud des États-Unis, nous décline des scènes de la vie acadienne, à la manière d’un opéra ancien de Monteverdi ou Purcell. C’est un monde disparu qui prend ainsi vie sous nos yeux, disparu dans le temps, les modes de vie, les structures sociales. Disparu littérairement aussi, par cette langue anglaise parsemée largement de français, et dont la forme générale est largement inspirée du style de Flaubert ou de Maupassant. Kate Chopin a hésité entre les deux langues pour chacune de ses œuvres et a finalement opté pour l’anglais où, peut-être, elle se sentait plus à l’aise. Mais elle parlait surtout le français, comme la plupart des Acadiens de la fin du XIXème siècle.

Il ne faut pas se tromper sur le terme de Créole. Il n’a aucun rapport avec ce que nous nommons les Créoles aux Antilles aujourd’hui. Il s’agit plutôt de grands bourgeois immigrés au Sud des USA, Français pour l’essentiel, et qui vont constituer une classe sociale et un mode de vie à part, élégants, cultivés, souvent prétentieux et arrivistes. Nombre d’entre eux se piquent de littérature – surtout française – et Flaubert, Balzac, Lamartine et Maupassant peuplent les rayons des bibliothèques « nobles ».

Les Pieds nus de lumière, Kenji Miyazawa (par Fawaz Hussain)

Ecrit par Fawaz Hussain , le Mardi, 15 Juin 2021. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Japon, Cambourakis

Les Pieds nus de lumière, Kenji Miyazawa, février 2020, trad. japonais, Hélène Morita, 237 pages, 10 € Edition: Cambourakis

 

L’existence et l’œuvre de Kenji Miyazawa semblent profondément marquées par la situation géologique du Japon et les catastrophes naturelles qui secouent fréquemment son archipel. Il est vrai que l’écrivain est né en 1896, l’année du tsunami de Meiji Sanriku, qui a fait environ 22.000 victimes, et il est mort en 1933, l’année du tsunami de Showa Sanriku, au lourd bilan (3000 morts et disparus). Devenir ingénieur agronome est une orientation qui s’est imposée à Kenji Miyazawa, du fait sans doute de cette nature nipponne, que signalent autant ses violences destructrices que son envoûtante et mystérieuse beauté. Quant à la paix intérieure qui imprègne l’ensemble de l’œuvre, elle relève de la profonde adhésion de l’auteur à la pensée bouddhiste : « Celui qui est le maître de lui-même est plus grand que celui qui est le maître du monde », et aussi : « Il n’existe rien de constant si ce n’est le changement ».