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La Une CED

Les travaux et les jours 9 (extraits) - La fille (par Ivanne Rialland)

Ecrit par Ivanne Rialland , le Lundi, 10 Février 2020. , dans La Une CED, Ecriture, Bonnes feuilles

 

Devant l’ordinateur familial, elle s’amuse, par la grâce de Google Street View, à se couler dans les rues de sa ville qui, au fil de sa progression saccadée le long de chaussées ensoleillées et désertes, prend les allures étranges, presque inquiétantes, d’un décor de jeu vidéo. Dans les silhouettes fugitives capturées par la Google car, il lui semble parfois reconnaître un être familier. Certaines adresses, certains morceaux de rue sombrent dans l’inconnaissable, le logiciel montrant obstinément, à la place de telle boutique, de tel immeuble, l’entrée d’un parking souterrain ou une façade aveugle, comme si ce point de l’espace avait été effacé, avalé, ou – pour l’entrée du parking – remplacé par cette sorte de portail illusoire vers un autre monde, appel toujours frustré à aller en-dessous, derrière ces images en trompe-l’œil. Pourtant, devant la maison d’une amie, elle ne peut s’empêcher d’attendre l’apparition de son visage, là-haut, entre les rideaux bleus de sa chambre, avec un vague sentiment d’effroi à l’idée, de croiser, à travers l’écran, son regard.

Le Diable et l’Histoire (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Vendredi, 07 Février 2020. , dans La Une CED, Les Dossiers, Etudes

« De la Ville, les mourants se lamentent

et l’âme des blessés crie au secours,

mais Eloah n’entend pas la prière !

Au petit jour se lève l’assassin,

Il tue le pauvre et l’indigent

Et l’œil de l’adultère épie le crépuscule

Il se dit : « un œil ne m’aperçoit point ! »

Et il met le voile sur sa face.

Et dans la nuit marche le voleur,

Il perfore, dans les ténèbres, les maisons

Qu’il a repérées le jour (…)

S’il n’en est pas ainsi, qui me convaincra

De mensonges et réduira à néant ma parole ? »

Job. XXIV. 12-25

Correspondance, tome V (Janvier 1885/Décembre 1886) Friedrich Nietzsche (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Vendredi, 31 Janvier 2020. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Correspondance, tome V (Janvier 1885/Décembre 1886) Friedrich Nietzsche, Gallimard, mars 2019, trad. allemand Jean Lacoste, 368 p. 29 €

 

Fin décembre 1886. Nietzsche écrit à Ernst Wilhelm Fritzsch (à Leipzig), depuis Nice, depuis sa « Pension de Genève » dans la « Petite rue Saint-Étienne » : « Lorsque les avant-propos à [m]es deux livres [Aurore et Le Gai savoir] […] seront imprimés, quelque chose d’essentiel aura été accompli pour faciliter la compréhension de toute mon œuvre (et de ma personne). Et, de fait, on comprendra que quelqu’un qui se sera une fois “attaché” à moi ne pourra que poursuivre, étape par étape, son chemin en ma compagnie ».

Le ton, victorieux, enjoué, de cette lettre, marque l’aboutissement d’un parcours personnel frappé peut-être du sceau du doute, du moins gorgé, comme d’eau un tissu, de la douleur de ne pouvoir écrire que « pour tous », comme l’indique le sous-titre d’Ainsi parlait Zarathoustra, c’est-à-dire « pour personne ». Aussi un an auparavant le ton des lettres est-il singulièrement différent…

La Styx Croisières Cie (XII) – Décembre 2019 (par Michel Host)

Ecrit par Michel Host , le Jeudi, 30 Janvier 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques régulières

ÈRE VINCENT LAMBERT,  AN  I.

Humain, citoyen le plus vulnérable, la République française, la médecine, la banque et la magistrature réunies, t’ayant baptisé Légume, te tueront.

« PERE UBU  − « S’il n’y avait pas de Pologne il n’y aurait pas de Polonais ! »

Alfred Jarry – UBU ROI –     Acte V, Sc. II

(Jules de Montalenvers de Phrysac : noté dans le Livre de mes Mémoires.)

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Lµ 1 --  La pièce « Ubu roi » trouve son épilogue dans ces paroles incontestables du Père Ubu au sujet de la Pologne et des Polonais. Lui et sa délicieuse épouse voguent sur les eaux de la Baltique, en direction de leur cher pays : « Mère Ubu : Ah ! quel délice de revoir bientôt la douce France, nos vieux amis et notre château de Mondragon ! » Il est laissé à l’appréciation du spectateur le soin de juger s’il est raisonnable ou pure folie de quitter la France.

Histoires confidentielles, Pierre Herbart (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 29 Janvier 2020. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Histoires confidentielles, Pierre Herbart, Grasset Cahiers rouges

 

Pour Catherine Gide (1923-2013).

« L’aristocratique Pierre Herbart et moi-même »

 

Gilbert Lely

« L’escalier », « Castor » et « Peau d’ange » sont trois nouvelles de Pierre Herbart publiées chez Grasset en 1970 dans le recueil Histoires confidentielles puis rééditées dans « Les Cahiers rouges » en 2014. Ce sont peut-être les plus belles pages de cette œuvre si singulière et, pour mon bonheur, si secrète. Herbart, de père bourgeois tombé volontairement dans la clochardise, compagnon de voyage de Gide, mari de la mère de la fille de Gide, gendre de la Petite Dame donc, ex-protégé de Cocteau à qui Gide le chipa, journaliste engagé en Indochine, en Afrique noire, en Espagne (1) et en U.R.S.S., « grand résistant », militant anticolonialiste dépourvu de la moindre illusion idéologique, n’est jamais aussi convaincant, aussi émouvant dans sa désinvolture, aussi profond sous la légèreté apparente que lorsqu’il parle de lui.