Passage des ombres, Arnaldur Indriðason
Passage des ombres, mai 2018, trad. islandais Eric Boury, 304 pages, 21 €
Ecrivain(s): Arnaldur Indridason Edition: Métailié
Auteur islandais, Arnaldur Indriðason appartient à la génération des auteurs à succès de romans noirs « nordiques », qui ont pris il y a maintenant plusieurs décennies la relève des romanciers anglo-saxons, jusque-là maîtres incontestés du genre : Stieg Larsson, Henning Mankell, Liza Marklund, Åke Edwardson, Johan Theorin (suédois), Jo Nesbo (norvégien), Jussi Adler-Olsen (danois), concurrencent aujourd’hui l’Américain Harlan Coben, pour ne citer que celui-ci. Les intrigues de ces « nouveaux » polars innovent avec des décors venus du froid et une réserve manifestée par les enquêteurs scandinaves et nordiques, dont est proche – souvent – Fred Vargas.
A l’heure où le roman policier profite des effets de la mondialisation (en explorant la Chine ou l’Amérique du Sud, par exemple), la toponymie du roman d’Indriðason demeure exclusivement islandaise, cantonnée à la ville de Reykjavik et à une région du Nord du pays où une petite part de l’intrigue prend place : rue Frikirkjuvegur, où se trouve la Criminelle, Skuggahverfi, le quartier des Ombres, les rues Hverfisgata et Lindargata, près du Théâtre national. La couleur locale est ainsi préservée.
Le roman d’Indriðason est construit sur une opposition : d’une part, la simplicité de l’avancée des enquêtes, chapitre après chapitre, sous forme d’interrogatoires brefs qui reprennent les mêmes éléments du dialogue, en les enrichissant peu à peu, en en précisant le contexte, les liens de cause à effet, les conditions d’apparition des événements ; d’autre part, la complexité de la temporalité, qui mêle deux enquêtes menées à quelque soixante-dix ans d’intervalle, la première n’ayant pas abouti de façon satisfaisante et se trouvant remise sur le devant de la scène par un nouveau meurtre. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la capitale islandaise est occupée par l’armée américaine et peuplée de soldats, qui attendent une intervention armée et fréquentent les jeunes filles de la ville – on appelle ce phénomène « la situation ». Deux fois deux enquêteurs (Thorson et Flovent en 1944, puis Thorson/Thordarson et Konrad dans les années 2010) se penchent sur un double viol, suivi d’un double meurtre, mais tout est nébuleux et mêlé de spiritisme et de contes populaires islandais.
Un roman noir où les personnages féminins sont (hormis l’inspecteur Marta) soit des victimes soit des sorcières, où le lecteur est plongé dans les milieux tour à tour politique, estudiantin et ouvrier, et où les elfes, êtres fabuleux généralement bienveillants, sont bien maltraités.
Sylvie Ferrando
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