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Mon dîner chez les cannibales et autres chroniques sur le monde d’aujourd’hui. Journal philosophique, Ruwen Ogien

Ecrit par Arnaud Genon 16.04.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Grasset

Mon dîner chez les cannibales et autres chroniques sur le monde d’aujourd’hui. Journal philosophique, mars 2016, 320 pages, 19 €

Ecrivain(s): Ruwen Ogien Edition: Grasset

Mon dîner chez les cannibales et autres chroniques sur le monde d’aujourd’hui. Journal philosophique, Ruwen Ogien

 

L’éthique minimale de Ruwen Ogien


Les philosophes sont de plus en plus sollicités – dans la presse, sur les plateaux de télévision, à la radio – pour commenter le monde, le donner à penser, parfois à comprendre. Parmi eux, se distingue Ruwen Ogien qui échappe aux « tendances catastrophistes qui sont devenues dominantes au sein de la philosophie académique et non académique ». Pour autant, il ne succombe en aucun cas aux autres maux des esprits d’aujourd’hui : « l’optimisme béat ». Son journal philosophique, en fait, un recueil d’articles publiés dans divers médias, se penche sur les questions d’actualité qui ont été au cœur des récents débats publics : droits de l’Homme, religion, liberté d’offenser, grossesse pour autrui ou homophobie sont, entre autres nombreux sujets éthiques et politiques, ici abordés.

Ogien commence par affirmer que « La guerre des civilisations n’aura pas lieu ». La prophétie de Huntington, auteur du slogan « Le choc des civilisations », ne résiste pas, selon Ogien, à l’examen philosophique. Tout d’abord, parce que la culture « est une entité abstraite dont les frontières sont arbitraires », ensuite parce que la réalité sociologique est davantage du côté du métissage et du cosmopolitisme que du repli identitaire. Pour que ce choc existât, il aurait fallu que les civilisations telles que les conçoit Huntington (homogènes, immuables, repliées sur elles-mêmes) existassent elles aussi… Ce que leur examen contredit.

Le philosophe développe ensuite sa position entre relativisme moral et universalisme, à la lueur de laquelle il décrypte les problématiques du monde qui est le nôtre. Il pose ainsi que le « bien est relatif mais le juste universel » : « Le juste concerne le rapport aux autres et les formes d’équité ou d’égalité qui pourraient le régler. Le bien concerne le rapport à soi et le style de vie que chacun adopte ou pourrait adopter ».

Cette grille de lecture amène l’auteur à affirmer, à juste titre, que la politique d’immigration actuellement menée par les pays européens porte atteinte à « la liberté politique » de ceux qu’il nomme les « indésirables ». Autre sujet : s’il considère que ne pas donner accès à la PMA à tous est injuste, il s’interroge cependant plus généralement sur la moralité d’avoir des enfants, partant de l’argument selon lequel « tout ce qu’on fait subir aux autres sans leur consentement est immoral ». Refusant tout « paternalisme d’Etat » qu’il juge « complètement dépassé », il considère que le droit de mourir « devrait être non limité par la prise en considération des réticences des médecins, de la famille, des proches ou de la société en général », car dans les domaines qui touchent la vie et la mort, la décision ne peut revenir qu’aux principaux concernés.

L’éthique minimale qu’il défend et par laquelle il cherche à se détacher de tout paternalisme ainsi que des préjugés conservateurs et puritains, bousculera ou heurtera probablement certains lecteurs notamment lorsqu’il avance que la pornographie peut être une source de « connaissance, de libération, de plaisir et de subversion de l’ordre moral et sexuel », ou déclare non sans humour qu’il existe « des raisons de penser que l’amour est un obstacle plus qu’une contribution à une relation sexuelle satisfaisante », quand les discours ambiants et la morale bien-pensante tendent à affirmer le contraire.

Mais n’est-ce pas cela, penser ? Philosopher, c’est aller à contre-courant de la doxa, la questionner, la maltraiter parfois. Philosopher, c’est aussi penser contre nous-même, interroger et mettre à mal nos certitudes. On peut ne pas partager toutes les conclusions du philosophe, nonobstant on lui saura gré de nous bousculer, de nous troubler, nous ébranler. C’est tout aussi plaisant, voire même beaucoup plus excitant que d’être confortés dans nos petites convictions…

 

Arnaud Genon

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A propos de l'écrivain

Ruwen Ogien

 

Ruwen Ogien est un philosophe français contemporain. Directeur de recherche au CNRS en philosophie, membre du laboratoire La République des savoirs, ses travaux portent notamment sur la philosophie morale et la philosophie des sciences sociales.

 

A propos du rédacteur

Arnaud Genon

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Rédacteur

Domaines de prédilection : Littérature française et francophone

Genres : Littérature du "je" (autofiction, autobiographie, journaux intimes...), romans contemporains, critique littéraire, essais

Maisons d´édition : Gallimard, Stock, Flammarion, Grasset


Arnaud Genon est docteur en littérature française, professeur certifié en Lettres Modernes. Il enseigne actuellement les lettres et la philosophie en Allemagne, à l’Ecole Européenne de Karlsruhe. Visiting Scholar de ReFrance (Nottingham Trent University), il est l´auteur de Hervé Guibert, vers une esthétique postmoderne (L’Harmattan, 2007), de L’Aventure singulière d’Hervé Guibert (Mon petit éditeur, 2012), Autofiction : pratiques et théories (Mon petit éditeur, 2013), Roman, journal, autofiction : Hervé Guibert en ses genres (Mon petit éditeur, 2013). Il vient de publier avec Jean-Pierre Boulé,  Hervé Guibert : L'écriture photographique ou le miroir de soi (Presses universitaires de Lyon, coll. Autofictions etc, 2015). Ses travaux portent sur l’écriture de soi dans la littérature contemporaine.

Il a cofondé les sites herveguibert.net et autofiction.org