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La Une Livres

Olimpia, Céline Minard (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 13 Octobre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Rivages poche

Olimpia, août 2016, 88 pages, 5 € . Ecrivain(s): Céline Minard

 

Ce livre très court est une longue, longue malédiction à Rome et aux humains qui la peuplent, des mendiants aux princes, des putains aux reines, des mécréants aux grands de l’Eglise. Un déferlement d’injures, de horions, une logorrhée fielleuse, haineuse et violente. C’est Olimpia qui parle. Olimpia Maidalchini, parfois appelée dans l’histoire romaine « la papesse Olimpia ». Par son aura, ses réseaux et sa détermination, elle a contribué efficacement à l’élection de son beau-frère, le cardinal Pamphili au trône papal. Il sera le Pape Innocent X. Du coup, Olimpia devient une femme d’immense pouvoir dans la Ville Eternelle. Mais la mort du Pontife, en 1655, entraîne sa déchéance. C’est là qu’Olimpia « prononce » (le texte est bien sûr fictif) cette malédiction inouïe.

Céline Minard déploie sa puissance littéraire au service de la rage d’Olimpia. Le foisonnement verbal, les images pittoresques, les injures réjouissantes, le rythme haletant de ce discours font ici un sommet de littérature baroque. La haine d’une femme se transforme en condamnation universelle, « Urbi et Orbi » de façon étrangement drôle. C’est une excommunication de la Ville de Rome, vouée à jamais aux gémonies qu’elle a autrefois inventées.

La femme au petit renard, Violette Leduc

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 13 Octobre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Gallimard

La femme au petit renard, septembre 2016, 144 pages, 7,50 € . Ecrivain(s): Violette Leduc Edition: Gallimard

 

Ce septième livre de l’auteur, paru la première fois en 1965, est un récit hallucinant où une vieille jeune fille et Paris tissent des liens insolites et prenants.

Voilà une femme tiraillée par la misère, la faim, le manque, dans une chambre étriquée, passer le plus clair (et le plus triste) de son temps à déambuler dans un Paris méconnaissable, peu amène à l’accueillir. Elle est une âme invisible, vêtue comme une mendiante, qui s’invective, revoit le temps passé, maîtrise si mal le présent à force de calculer sur tout, jusqu’aux grains de café qu’elle peut moudre.

D’un réalisme époustouflant, le récit met en scène des décors d’une vie réduite à ses plus simples expressions : on vivote, on regarde à défaut de pouvoir acheter ou prendre, on scrute le moindre signe, sachant que l’irrémédiable, seul, est à portée de vue et de la main.

Judas, Amos Oz

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 11 Octobre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Gallimard, La rentrée littéraire, Israël

Judas, août 2016, trad. hébreu Sylvie Cohen, 348 pages, 21 € . Ecrivain(s): Amos Oz Edition: Gallimard

 

 

Condamné à marcher et ne pas se fixer jusqu’au retour du Christ, le bouc émissaire, autre figure du traître, de Judas, nom tellement décrié qu’il n’en est plus propre.

Shmuel, le personnage central se demandera : « (…) où devait-il aller ? Que fallait-il faire ? (…) Et il resta là à s’interroger », (p.348). Qu’est-ce que la trahison ? Se vendre, vendre quelqu’un ? Laisser faire ? ou simplement aller contre, à l’encontre de… ? Histoire dans l’histoire, histoire à double fond, le Judas d’Amos Oz porte une double interrogation, historique et humaine, sur le sens de la trahison, dans un double parallèle : Jésus/Judas, Ben Gourion/Shealtiel Abravanel, une interrogation permanente de l’un à l’autre sur le sens du geste, à travers le personnage de Shmuel Asch, étudiant rédacteur d’un mémoire plus ou moins en déshérence sur le personnage de « Jésus dans la tradition juive ».

Indigents, Emmanuel Darley

Ecrit par Marie du Crest , le Mardi, 11 Octobre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Théâtre, Actes Sud/Papiers

Indigents, Actes Sud-Papiers, 2001, 42 pages, 7,47 € . Ecrivain(s): Emmanuel Darley Edition: Actes Sud/Papiers

 

La misère du monde

Il y eut les gueux, les misérables, les mendiants, les clochards, tous les damnés de la terre. Aujourd’hui, d’autres mots désignent ceux que nous ne voulons pas voir, les exclus, les sans domicile fixe, les poétiques hobos. La littérature les a peints, de Serena à Daeninckx ou Echenoz. Emmanuel Darley lui les nomme « indigents » comme pour déjà prendre ses distances avec une perception strictement sociale, administrative de ceux que la société a marginalisés. L’indigence dit la privation du nécessaire, une existence de l’ordre de la survie, de la « picole » consolatrice, de la biture. Une humanité réduite à être des « corps allongés dans diverses proximités, des couvertures et des cartons » (cf. didascalie inaugurale). Les personnages de la pièce installés à l’écart de la ville, du côté de la gare, lieu de l’errance par excellence, ne font que parler, mouvoir leur corps. Les uns contre les autres ; les uns avec les autres.

Les incendiés, Antonio Moresco

Ecrit par Marc Ossorguine , le Lundi, 10 Octobre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, La rentrée littéraire, Italie, Verdier

Les incendiés (Gli incendiati), août 2016, trad. italien Laurent Lombard, 187 pages, 16 € . Ecrivain(s): Antonio Moresco Edition: Verdier

 

 

Voilà sans doute l’un des plus étranges récits qu’il m’ait été donné de lire ces derniers mois. Les climats et images que nous avions découvert dans La petite lumière ou dans Fable d’amour, à cheval entre une réalité concrète, dure voire brutale, et un monde onirique voire simplement fantastique et surnaturel, sont ici dans une oscillation encore plus affirmée entre ces deux mondes. De façon encore plus puissante, plus radicale, le style, les images, nous installent dans un onirisme hyperréaliste qui n’épargne ni le lecteur, ni le narrateur, ni ses personnages.

Tout au long du récit, il semble que nous soyons dans un long écho, de plus en plus déformé, lointain, du Rêve familier de Verlaine :