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Échange longue distance, Thomas Kling

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Jeudi, 10 Novembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Échange longue distance, éd. Unes, octobre 2016, trad. allemand Aurélien Galateau, 104 pages, 20 € . Ecrivain(s): Thomas Kling

 

Thomas Kling est autant un poète « sonore » qu’un philosophe rebelle à tout effet. Il est un des rares créateurs capables d’émettre une poésie du langage et de l’Histoire dignes de ce nom. Il pourrait donc se situer autant dans la lignée de Jean-Pierre Faye (et de ce que fut la revue « Change ») et de John Cage.

L’auteur prouve comment s’inscrit à travers l’Histoire et ses documents des lignes de tensions (souvent oubliées sous des prétextes plus ou moins fallacieux) et quelque chose d’essentiel du côté de l’altérité. Rien n’est caché dans un univers esthétique puissant. Il y eut les nazis, les staliniens, les glorieux hommes du commun, les camps de la mort mais aussi « Le Bleu du Ciel » dans l’esprit de Bataille.

Le retour se fait par la guerre, le pouvoir de tuer, et signe l’avènement de l’état « gnômateux » qui annonce un devenir en forme de néant. Mais pas seulement. Certes l’auteur rappelle que le monde est une obscurité qui se meut en tous sens. Et la langue lui emboîte le pas. C’est elle qu’il conteste du moins en ses états passifs. Il sait que c’est par la langue poétique – et sans masquer ses références – que le politique et le monde se pensent.

Born To Run, Bruce Springsteen

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 09 Novembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, USA, Biographie, Albin Michel

Born To Run, septembre 2016, trad. (excellemment) de l’américain par Nicolas Richard, 640 pages, 24 € . Ecrivain(s): Bruce Springsteen Edition: Albin Michel

 

Avant d’évoquer les « mémoires », terme choisi en lieu et place de « autobiographie » par l’auteur lui-même, de Bruce Springsteen, un petit mot sur la compilation Chapter And Verse publiée de façon simultanée, présentée comme la bande-son du livre. Autant le dire franchement : elle est à éviter. Certes elle contient une douzaine de chansons indispensables du Boss, de Growin’ Up à The Rising en passant par Born To Run et The River, mais elle contient aussi cinq titres inédits, enregistrés avant le premier album avec The E Street Band, entre 1966 et 1972, et ceux-ci n’ajoutent absolument rien à la légende. Au contraire ils sont embarrassants tellement ils sont maladroits et montrent un Springsteen s’essayant à copier ses maîtres de pataude façon. Certes, la chanson Henry Boy annonce les grandes et épiques histoires à venir, mais qu’elle est plate, qu’elle montre un Springsteen cherchant ses marques… C’est le grand tort de l’industrie musicale, depuis l’avènement du cd au moins, que de vouloir à tout prix faire croire au pigeon d’amateur qu’il est bon de tout entendre, que le moindre rogaton de studio doit être publié et écouté avec dévotion.

La Neige de Saint Pierre, Léo Perutz

Ecrit par Zoe Tisset , le Mardi, 08 Novembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Langue allemande, Pays de l'Est, Roman, Zulma

La Neige de saint Pierre, octobre 2016, trad. allemand Jean-Claude Capèle, 240 pages, 9,95 € . Ecrivain(s): Leo Perutz Edition: Zulma

 

C’est un roman qui frôle le fantastique, un peu à la manière de Borges qui admirait beaucoup Perutz. Le ton est parfois très malicieux, ainsi lorsque George Friedrich Amberg, personnage principal, attend impatiemment une jeune femme. « …Eh oui ! Le temps chausse deux paires de chaussures différentes, poursuivit le fantôme. Avec l’une, il boite, avec l’autre, il fait des bonds. Et aujourd’hui, dans cette pièce, le temps a chaussé ses chaussures de boiteux, il ne veut pas passer ».

Un jeune médecin se réveille dans un lit d’hôpital, il se souvient d’évènements passés que personne n’accrédite. « (…) j’avais l’impression de ne plus être là, d’être couché dans un lit d’hôpital quelconque ; c’était une sensation très concrète, je sentais quelque chose d’humide et de chaud sur le front et dans la nuque, et j’essayais de m’en saisir, mais soudain, je ne parvins plus à bouger le bras et j’entendis les pas feutrés de l’infirmière. Il semble qu’à ce moment là, j’ai eu pour la première fois la vision de l’état dans lequel j’allais me trouver à la fin de toutes ces aventures ».

Sous Ponce Pilate, Gabriel Robin

Ecrit par Vincent Robin , le Mardi, 08 Novembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Livres décortiqués, Editions de Fallois, Histoire

Sous Ponce Pilate, février 2016, 400 pages, 22 € . Ecrivain(s): Gabriel Robin Edition: Editions de Fallois

 

« Soudain un cri s’élève. Jésus est là dans le temple, sous le portique de Salomon, debout au milieu d’une foule qu’il est en train d’enseigner… » (p.252). Transposé dans le contexte actuel, en mettant alors de côté le nom du personnage qui l’occupe, ce tableau suggéré à son rapporteur fasciné répondrait tout autant à la célébration d’un champion de maintenant, déjà vivement adulé mais attendu avec une avidité fiévreuse par ses supporters au lieu final de sa consécration. Ainsi souvent dans le traitement littéraire, grâce aux transports enthousiastes et aux pouvoirs amplificateurs de l’écriture, le petit peut-il apparaître grand (Swift et Gulliver nous le racontent particulièrement), le laid virtuellement beau (Quasimodo et Victor Hugo le suggèrent avec force), l’insignifiant essentiel ou sublime, l’éphémère éternel… Qu’en sont les réalités pourtant, en marge du regard strict des esprits subjugués, dans leur vérité crue ou intrinsèque et face au froid diagnostic de l’historicité ? Subjectivité et objectivité sont naturellement les marques dialectiques réunies tout au sommet de ce questionnement. Pour la question de Jésus et de la vision que nous en avons, qu’en est-il alors de sa vie, si éphémère s’agissant de son passage terrestre et si longue à travers quelque culte engendré après lui sous son nom.

Journal du ghetto de Lodz, 1939-1943, Dawid Sierakowiak

Ecrit par Philippe Leuckx , le Lundi, 07 Novembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Biographie, Histoire, Les éditions du Rocher

Journal du ghetto de Lodz, 1939-1943, septembre 2016, trad. Mona de Pracontal, photographies exemplaires Mendel Grossman, Henryk Ross, 348 pages, 20,90 € . Ecrivain(s): Dawid Sierakowiak Edition: Les éditions du Rocher

 

Du livre écrit en polonais par un jeune Juif, de ses quinze à dix-neuf ans, nous pouvons lire une traduction de traduction. Du Journal initial subsistent cinq cahiers, aux titres révélateurs : Lodz est occupée, Une faim continuelle, Nous vivons dans une peur constante, La bête assoiffée de sang, Il n’y a pas d’issue.

Du 28 juin 1939 au 15 avril 1943, le jeune Dawid a tenu son journal, relatant de manière précise les événements du ghetto et ceux qui parvenaient de l’extérieur.

Dans une langue claire, minutieuse, très descriptive, Dawid nous conte la vie passée au ghetto entre quête continuelle de nourriture et de travail, sa famille logée au troisième étage dans des conditions de promiscuité et de saleté extrêmes : le père, voleur invétéré même de la chiche nourriture de ses proches, la mère combative et adorée, la sœur Nadzia.