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La Une CED

Dictionnaire paradoxal de la philosophie, Penser la contradiction, Pierre Dulau, Guillaume Morano, Martin Steffens (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 01 Septembre 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Dictionnaire paradoxal de la philosophie, Penser la contradiction, Pierre Dulau, Guillaume Morano, Martin Steffens, Éditions du Cerf, octobre 2022, 760 pages, 34 €

 

La fameuse réplique de Churchill à une dame acariâtre (qui venait de lui lancer publiquement : « Si j’étais votre épouse, monsieur, j’empoisonnerais votre verre de whisky ») : « Et moi, madame, si j’étais votre époux, je le boirais » – dit merveilleusement la puissance révélatrice de la négation humaine, et l’usage décisif du paradoxe. Le paradoxe, c’est l’auto-contradiction féconde, l’alliance éclairante et lucide d’incompatibilités aveuglantes, le conflit victorieux d’une raison avec elle-même. Pas une simple astuce rhétorique (« saper le sens pour faire sens »), mais la soudaine révélation d’une contradiction qui nous hantait, et que notre pensée qui l’assume dépasse. C’est comme la simple visite d’une impossibilité logique qui saurait souligner la réalité de sa porte d’entrée cachée. C’est comme un lapsus expérimental (si mon inconscient fait des siennes, en quoi est-il mien ? mais si j’ai dû choisir ce que j’exclus de pouvoir penser, en quoi est-il inconscient ?), un non-être partant à l’aventure, un « tremblé » de la possible construction du vrai.

Jérusalem, William Blake (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 28 Août 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie, Arfuyen

Jérusalem, William Blake, éd. Arfuyen, juin 2023, trad. anglais, Romain Mollard, 192 pages, 17 €

 

Énigme

Le voyage complexe qu’est le voyage du lecteur ici doit rester actif jusqu’à la fin du recueil, poursuivant une déambulation langagière pleine d’énigmes, de mots, d’épithètes et de noms propres qui dessinent comme une épopée tout autant articulée sur un récit que sur une musique ou un travail d’orfèvrerie au sein du langage. C’est en vérité une vision du monde – vision sujette à l’intellection. On ressent nettement que cette imagination est celle aussi d’un peintre, donc hanté par les images. On ressent nettement le peintre derrière le poète.

Oui, mais quelles images ? Breughel l’Ancien, Odilon Redon, toutes les versions classiques du thème de la Tentation d’Antoine, bien sûr Gustave Moreau. Enfin une peinture chargée de symboles et de clés subjectives. Et quels livres ? Un peu de l’Apocalypse, de la Légende des Nibelungen, d’Homère, de l’Enfer de Dante, et tout cela dans un art de la surcharge, un travail ressemblant en un sens à l’épopée de Milton.

Fils, Olivier Vossot (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 23 Août 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Fils, Olivier Vossot, La Crypte, avril 2023, 108 pages, 15 €

Un père alcoolique, faible et qui « brûle seul » (qui déploie sa rare énergie à la consumer, et ne paraît rayonner que pour « éteindre tout » le reste, p.40) ; voilà le viatique éducatif de l’auteur, donnant lieu à une sorte de pénitentiel et pénitentiaire récit – ou plutôt relation impressionniste, car tout revient comme voleter au-dessus d’un centre qui toujours se dérobe – de formation. C’est que le géniteur a pris pour lui (et non sur lui !) tout le vestiaire des conditions, n’a pas laissé vacante la place à prendre, par l’autre, pour devenir soi. Il aura comme muré le préau d’investiture :

« je commence

et tu n’as pas de fin

tout menace d’éteindre tout

brûle du feu déçu piétiné

brûle seul

ne brûle pas » (p.40)

Apprendre à faire l’amour, Alexandre Lacroix (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 21 Août 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Essais

Apprendre à faire l’amour, Alexandre Lacroix, Champs/Flammarion, mai 2023, 224 pages, 9 €

Ce matin à la radio, What’s going on de Marvin Gaye : la voix du chanteur-phare de la Motown, sensuelle, dont chaque intonation est servie par une tessiture qui tient du velours et de la soie tout en étant un coton rassurant, vogue sur des arrangements complexes et un rythme qui échappe au binaire. Alexandre Lacroix marquera son accord à la comparaison : cette chanson de Marvin Gaye donne envie de faire l’amour à la femme aimée, d’accorder les coeurps (néologisme indiquant une préférence pour un « holisme strict » tel que défini dans Apprendre à faire l’amour) à ses vibrations – et si la femme aimée est absente, cette chanson fait penser à elle, tout comme la jazzy et rythmiquement affolante Wild is the wind interprétée par Nina Simone, envoûtante elle aussi dans la présence et dans l’absence. Tout le contraire d’une chanson contemporaine à celle de Gaye, 1971, signée James Brown, Hot pants, dont le titre seul (« mini-short moulant ») indique la teneur : alors que Gaye fait l’amour, Brown baise. Chez le second, cette rythmique lourde et répétitive, cette voix qui tient du feulement, du cri, et de tout ce qui rugit entre les deux, c’est de la baise. Voici, en deux chansons, expliquée la teneur du bel essai d’Alexandre Lacroix, Apprendre à faire l’amour, découvert par le biais d’une brillante interview radiophonique – écouter la radio, donc, pour avoir envie de faire l’amour et en entendre parler.

Céline, Romans en La Pléiade (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 13 Juillet 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Roman, La Pléiade Gallimard

Céline, Romans 1932-1934 (1), Romans 1936-1947 (2), Album Louis-Ferdinand Céline, Frédéric Vitoux, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, mai 2023, 1552 pages, 1952 pages, 149 € le coffret jusqu’au 31/12/2023

« Le travail, l’écriture sous le signe de la grand-mère, on ne saurait mieux dire. L’écriture pour distinguer le vrai du faux. Ou l’émotion du frelaté. La modeste besogne du styliste à l’écart des charlatans de la littérature… Tout est là ! » (Frédéric Vitoux).

« Les intervalles provoqués par la dislocation de la phrase sont partout là pour suggérer ce que les mots sont impuissants à dire. Qu’il s’agisse de laisser vibrer une note, de suppléer ce qui n’a pas été dit, ou seulement d’attendre, en retenant son souffle, que la parole reprenne, ces silences si spectaculaires dans l’écriture célinienne sont une des justifications les plus sûres du nom qu’il lui donne de musique » (Henri Godard, Préface).

« C’est la première fois dans cette mélasse d’obus qui passaient en sifflant que j’ai dormi, dans tout le bruit qu’on a voulu, sans tout à fait perdre conscience, c’est-à-dire dans l’horreur en somme. Sauf pendant les heures où on m’a opéré, j’ai plus jamais perdu tout à fait conscience. J’ai toujours dormi ainsi dans le bruit atroce depuis décembre 14. J’ai attrapé la guerre dans ma tête. Elle est enfermée dans ma tête » (Guerre).