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Des ailes au loin, Jadd Hilal (par Nadia Agsous)

Ecrit par Nadia Agsous 19.11.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Moyen Orient, Roman, Elyzad

Des ailes au loin, mars 2018, 214 pages, 18,50 €

Ecrivain(s): Jadd Hilal Edition: Elyzad

Des ailes au loin, Jadd Hilal (par Nadia Agsous)


Naïma, Ema, Dara et Lila ou l’exil en héritage

Un roman choral. Une polyphonie narrative menée avec brio par Jadd Hilal qui, tout au long d’un récit enchâssé, fait parler quatre femmes. Quatre générations. Quatre histoires de vie erratiques. Quatre destins. Quatre voix féminines qui livrent un pan de leur histoire familiale et individuelle. Car chez ces femmes exilées, la grande histoire est imbriquée dans la petite histoire.

Naïma. Ema. Dara. Lila. Ces quatre femmes sont les personnages principaux du premier roman de Jadd Hilal, intitulé Des ailes au loin. Elles sont libano-palestiniennes. Elles sont liées les unes aux autres par une histoire familiale mouvementée et tumultueuse et par l’appartenance à une terre habitée par « l’absence ». Car toutes celles et tous ceux qui la quittent ne reviennent pas.

Tour à tour, ces quatre voix usent de leurs propres mots pour narrer à la première personne du singulier, au travers du je, leur vécu ainsi que la trajectoire et les drames de la famille élargie sur une période soixante de dix ans. De chapitre en chapitre – généralement courts, portant un prénom en guise de titre – Jadd Hilal alterne les points de vue. A travers ces voix concordantes qui emploient le style direct, les faits vécus, les drames endurés, les douleurs, les souffrances, les errances spatio-temporelles sont décrits de l’intérieur, et de ce fait, rapportés fidèlement.

La révélation, bribe par bribe, de l’histoire familiale par chacune de ces quatre femmes, peut être appréhendée comme le moyen par lequel l’auteur fait participer les lectrices et les lecteurs à la reconstitution de la saga de cette famille d’origine palestinienne qui a hérité de l’exil et de l’errance.

Tout commence à Haïfa, « capitale de la Palestine », « le fjord méditerranéen » ; Haïfa, le point de départ des exils d’une famille qui vont se succéder. La guerre et la violence qui jouent un rôle déstabilisateur et perturbateur s’invitent dans les arcanes de la vie quotidienne de la population palestinienne : une bombe explose sur la place du marché.

Il faut partir !

Commence alors pour Naïma et pour son époux, Jahid, celui qui deviendra l’abu (le père), et pour leur descendance, une existence ponctuée de guerres, de départs, de fuites, d’exils. Cette famille et sa descendance investiront sept espaces géographiques servant de zones de repli et de refuge : Baalbek, Beyrouth et Arsoun au Liban, Damas, Baghdad, Abu Dhabi, Genève, Canada, Ferney-Voltaire en France.

Naïma est la doyenne de la famille. Elle est née en 1930 à Haïfa. Elle est la genèse car elle est celle par qui tout arriva. Son récit est important car il permet aux lectrices et aux lecteurs de comprendre les origines de l’histoire familiale. Au fil des pages, Naïma révèle des aspects de sa vie privée, de ses déboires avec son époux, Jahid, cet homme qui aimait « courir après les héroïnes, les femmes de l’histoire ». « Femme soumise – qui – manque de courage », Naïma, la belle et la fragile prend conscience qu’elle a été « spectatrice – et non – actrice » de sa vie.

Ema est la fille aînée de Naïma et de Jahid. Elle est née à Baalbek en 1948, une année après la guerre civile en Palestine. Ses paroles à propos de l’abu, de sa mère, et de la vie en général, laissent transparaître l’image d’une femme révoltée qui s’enrôle dans le parti communiste et s’investit dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban.

Dara est née en 1974 au Liban. Elle est la fille aînée de Ema. Cette femme sensible et attachante est indignée par l’injustice. Dara nourrit un attachement viscéral au Liban si bien que lorsque la guerre éclate, elle s’oppose à quitter le « désordre beyrouthin ».

Lila est la fille de Dara. Elle est née en 1998 au Liban. C’est d’un point de vue d’enfant qu’elle témoigne dans le roman. Le regard qu’elle porte sur le monde qui l’entoure et sur sa famille est empreint à la fois de naïveté et de maturité. Evoluant parmi les adultes, Lila cherche à creuser sa place et à donner un sens à sa vie dans ce climat de guerre où l’exil est l’unique issue pour échapper à la mort.

Ce récit écrit dans un style sobre et épuré pourrait être assimilé à une thérapie familiale dans laquelle l’auteur joue le rôle d’un thérapeute dont la fonction est de donner la parole à ces quatre femmes qui entretiennent la chaîne familiale, pour leur permettre de verbaliser leur vécu, d’extérioriser leurs souffrances et de donner un sens à leur vie. La posture de thérapeute permet à l’auteur d’établir une démarcation, et de prendre ainsi de la distance avec les histoires de vie révélées par ces quatre femmes exilées, membres de sa famille.

A lire cette saga où l’exil joue le rôle du personnage principal. A ne négliger aucun détail de cette émouvante et attachante histoire familiale sauvegardée par quatre femmes représentatives d’une population pour qui l’exil est un héritage qui se transmet de mère en fille, de grand-mère en petit-fils.


Extrait :


Dara :

« – Ema et mon père me firent quitter Beyrouth pour Arsoun, lors dela première guerre civile qui avait commencé au Liban en 1975. Ils me firent quitter le Liban pour Baghdad, lors de la Grande Guerre de 1982. Quand de Baghdad nous retournâmes au Liban et que la guerre nous menaça à nouveau, je pensais naturellement que nous allions fuir encore une fois.

– On ne bougera pas d’un poil, Dara. On ne peut pas passer notre vie à détaler. On va rester où on veut et on va être fiers d’être restés.

Nous macérâmes au Liban, à Beyrouth, jusqu’à ce que la guerre vienne à nous, qu’elle gangrène le quartier des ambassades, le putréfie, la palette de l’armée en était une belle illustration, aux craquements de chaînes de tanks, à ces sons rauques et métalliques qui m’évoquent aujourd’hui encore des supplices médiévaux… » (pp.115-116).


Nadia Agsous


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A propos de l'écrivain

Jadd Hilal

 

Romancier d'origine libano-palestinienne.

Auteur, chroniqueur de philosophie et de littérature, PhD student (doctorant), professeur certifié de lettres modernes

Université Lumière Lyon 2

 

A propos du rédacteur

Nadia Agsous

 

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Rédactrice


Journaliste, chroniqueuse littéraire dans la presse écrite et la presse numérique. Elle a publié avec Hamsi Boubekeur Réminiscences, Éditions La Marsa, 2012, 100 p. Auteure de "Des Hommes et leurs Mondes", entretiens avec Smaïn Laacher, sociologue, Editions Dalimen, octobre 2014, 200 p.

"L'ombre d'un doute" , Editions Frantz Fanon, Algérie, Décembre 2020.