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Une terre d’ombre, Ron Rash

Ecrit par Victoire NGuyen 08.01.14 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Seuil

Une terre d’ombre, traduit de l’Anglais (USA) par Isabelle Reinharez, 2 janvier 2014, 243 pages, 20 €

Ecrivain(s): Ron Rash Edition: Seuil

Une terre d’ombre, Ron Rash

Une ballade pour Laurel


Dans les années 60, un homme est mandaté de façon officielle pour se rendre dans une région isolée de la Caroline. Sa mission est de submerger la ville Mars Hill pour en faire un lac artificiel. L’hostilité des habitants et la découverte d’un cadavre dans un vieux puits ramènent à la surface une histoire tragique qui s’y était déroulée au moment de la Première Guerre Mondiale.

L’habileté du Prologue permet à l’auteur d’introduire son histoire et de braquer la lumière sur deux êtres à part. Il s’agit de Hank Shelton et surtout de Laurel, sa sœur. En effet, victime d’une marque de naissance et de la superstition des habitants, elle est rejetée par ce lieu qui la voit comme une sorcière et une damnée. Laurel est alors pourchassée, humiliée et voit son avenir compromis puisque les pressions de la communauté sont telles qu’elle a dû quitter l’école à regret. Sa vie se passe loin des regards dans une profonde solitude. De surcroît, sa demeure est une vieille maison nichée au creux d’un vallon maudit :

« La falaise la dominait de toute sa hauteur, et elle avait beau avoir les yeux baissés, elle sentait sa présence. Même dans la maison elle la sentait, comme si son ombre était tellement dense qu’elle s’infiltrait dans le bois. Une terre d’ombre et rien d’autre, lui avait dit sa mère, qui soutenait qu’il n’y avait pas d’endroit plus lugubre dans toute la chaîne des Blue Ridge. Un lieu maudit, aussi, pensait la plupart des habitants du comté, maudit bien avant que le père de Laurel n’achète ces terres. Les Cherokee avaient évité ce vallon, et dans la première famille blanche à s’y être installée tout le monde était mort de varicelle. On racontait des histoires de chasseurs qui étaient entrés là et qu’on n’avait plus jamais revus, un lieu où erraient fantômes et esprits ».

Pour Laurel, le temps se fige et elle exécute mécaniquement les tâches du quotidien avec son frère Hank, revenu de la guerre et mutilé. Mais cette vie est bouleversée par l’arrivée de Walter. Laurel va vivre elle aussi son histoire d’amour avant que le drame ne l’embrase toute entière.

Ron Rash donne ici une peinture sombre des relations humaines fondées sur l’intérêt, l’ignorance et la cruauté. Les âmes innocentes sont traquées sans ménagement et l’innocent doit payer de son sang pour assouvir la soif de vengeance de la communauté. C’est un roman à l’équilibre fragile car le lecteur est constamment en alerte. Il sait que l’orage va arriver. Il sait que le châtiment tombera sur la tête de Hank et de sa sœur. Walter, l’homme par qui le bonheur arrive est aussi celui qui sera responsable du carnage lorsque les chiens seront lâchés dans les campagnes désertes et désolées.

Une terre d’ombre est le symbole des ténèbres qui recouvrent le monde de sa bêtise, de son ignorance et de la xénophobie. La description de la sauvagerie du paysage répond à la violence aveugle de la guerre et de la haine des « Boches ». La barbarie universelle de la grande guerre pénètre le cœur de la petite communauté, la contamine et la pousse à sacrifier les siens sur l’autel d’un patriotisme nauséabond. Devant les pulsions venues des tréfonds de l’âme humaine, la flûte de Walter, ses mélodies mélancoliques qui enchantent la campagne solitaire ne sont que des courts moments de répit avant la traque et la mise à mort :

« Walter trouva une place libre à côté d’une fenêtre mais ne regarda pas dehors tant que les roues n’eurent pas commencé à tourner. Alors il contempla les montagnes et songea combien une vie humaine est petite et fugace. Quarante ou cinquante ans, un instant pour ces montagnes, et il ne resterait aucun souvenir de ce qui était arrivé ici ».

Jusqu’à ce que l’étranger arrive et remonte un cadavre du vieux puits…

 

Victoire Nguyen

 


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A propos de l'écrivain

Ron Rash

 

Ron Rash, né en Caroline du Sud en 1953, a écrit à ce jour trois recueils de poèmes, quatre de nouvelles (dont un finaliste du PEN/Faulkner Award 200, et trois autres romans – tous lauréats de plusieurs prix littéraires. Ses nouvelles et poèmes ont été publiés, entre autres, dans The Yale Review, la Sewanee Review, la Southern Review. Son premier roman, Un Pied au paradis, unanimement loué par la critique, a été récompensé par l’Appalachian Book of the Year et le Novello Literary Award. Son dernier recueil de nouvelles, Burning Bright, a obtenu en 2010 le prestigieux Frank O’Connor Award. Il est actuellement titulaire de la chaire John Parris d’Appalachian Studies à la Western Carolina University. Il vit dans les Appalaches, berceau de sa famille depuis 1750 (source éditeur).

A propos du rédacteur

Victoire NGuyen

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Un peu de moi…

Je suis née au Viêtnam en 1972 (le 08 Mars). Je suis arrivée en France en 1982.

Ma formation

J’ai obtenu un Doctorat es Lettres et Sciences Humaines en 2004. J’ai participé à des séminaires, colloques et conférences. J’ai déjà produit des articles et ai été de 1998 – 2002 responsable de recherche  en littérature vietnamienne dans mon université.

Mon parcours professionnel

Depuis 2001 : Je suis formatrice consultante en communication dans le secteur privé. Je suis aussi enseignante à l’IUT de Limoges. J’enseigne aussi à l’étranger.

J'ai une passion pour la littérature asiatique, celle de mon pays mais particulièrement celle du Japon d’avant guerre. Je suis très admirative du travail de Kawabata. J’ai eu l’occasion de le lire dans la traduction vietnamienne. Aujourd’hui je suis assez familière avec ses œuvres. J’ai déjà publié des chroniques sur une de ses œuvres Le maître ou le tournoi de go. J’ai aussi écrit une critique à l’endroit de sa correspondance (Correspondance 1945-1970) avec Mishima, auteur pour lequel j’ai aussi de la sympathie.