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Une petite chose sans importance, Chroniques lunaires d’un garçon bizarre, Catherine Fradier

Ecrit par Marc Ossorguine 12.07.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Jeunesse, Roman, Au Diable Vauvert

Une petite chose sans importance, Chroniques lunaires d’un garçon bizarre, 171 pages, 12 €

Ecrivain(s): Catherine Fradier Edition: Au Diable Vauvert

Une petite chose sans importance, Chroniques lunaires d’un garçon bizarre, Catherine Fradier

Il est autiste. De cet autisme que l’on nomme Asperger : celui qui épate les gens ordinaires (et fiers de l’être) qui n’y voient souvent qu’une monstruosité admirablement surprenante pour des scenarii de films ou de séries télé. Il s’appelle Sacha et suit sa mère au cœur du Congo, de la RDC, La République Démocratique du Congo, où celle-ci est médecin dans une organisation humanitaire. Sacha a quatorze ans. Il aime la précision et a compris depuis longtemps que les autres, enfants ou adultes, ne comprenaient rien, eux, à sa manière d’être.

Apprendre à vivre avec Asperger n’est pas le plus difficile. C’est avec les autres qu’il faut apprendre à vivre, et parfois les autres n’y tiennent pas vraiment.

Une chose qu’il connaît très bien, c’est la moquerie, celle que ni l’ignorance ni la peur ne suffise à expliquer. Il connaît bien aussi les décimales de pi, au-delà des cinq cents premières. Pas de meilleurs remèdes contre l’angoisse quand le monde devient trop hostile ou inquiétant que de se les réciter, mais aussi d’inventer une histoire, un conte, Conte de Pi, dont chaque mot compte de nombre de lettres correspondant aux décimales. Car un conte, pour d’autres que lui, c’est plus facile à mémoriser que des chiffres.

La mission humanitaire s’occupe des petites choses sans importance, comme Innocent, comme Destinée. Une petite chose sans importance, un kadongo. C’est ainsi qu’en Swahili l’on désigne les enfants soldats du Kivu. Ils sont quelques-uns, quelques-unes, à avoir réchappé de ce que les mots ont bien du mal à dire, à raconter : une guerre sans nom qui les a transformés à la fois en victimes et en bourreaux. Pour autant, toute humanité n’est pas éteinte en eux et du fond de ce que quelques spécialistes appelleraient sans doute résilience, ils reconnaissent Sacha comme un semblable un peu différent mais qui ne porte sur eux aucun jugement, qui est incapable de dissimuler ou de mentir, de tromper.

Destinée ne comprend pas toujours ce que raconte Sacha, mais elle a compris qu’avec lui elle pouvait parler et qu’au fond, ce qu’il avait de plus étrange pour les autres était sans doute son humanité sans compromis, car les compromis et les mensonges ne font pas partie de son monde. Encore moins les compromissions dans lesquelles les autres humains sont pris. Destinée, pour fuir les groupes armés, a dû laisser derrière elle son enfant, ce qu’elle ne peut accepter. Le projet qui lui donne une raison de vivre est de le récupérer, à tout prix. Au prix même de replonger dans son passé de guerrière intrépide et impitoyable. Mais elle a besoin d’aide, de quelqu’un en qui elle puisse avoir une entière confiance. Ce sera Sacha. Et voilà le jeune autiste asperger qui abandonne le refuge vital de sa petite tente et qui se met à suivre la jeune guerrière embarquée dans une folle expédition au cœur d’un pays en guerre.

Le scénario de cette histoire pourrait sembler invraisemblable, mais pas plus que le réel, tout compte fait. L’efficacité de l’écriture de Catherine Fradier fait le reste. On connaissait Catherine Fradier avant tout pour les nombreux polars qu’elle déjà écrits et dont certains ont été primés (1). Le titre est installé dans une Collection Jeunesse, mais il fait partie de ces livres « jeunesse » qui débordent cette classification et peuvent toucher n’importe quel public.

A mettre entre toutes les mains de lecteurs. Et même entre les mains de non-lecteurs qui pourraient bien s’ouvrir à la lecture avec ce récit plein d’aventures et d’humanité, en prise avec l’actualité douloureuse du continent africain (qui n’est pas propre qu’à l’Afrique).

 

Marc Ossorguine

 

(1) Grand prix de littérature policière 2006 pour La Colère des enfants déchus, Prix SNCF du polar français 2008 pour Camino 999, Prix Michel Lebrun 2010 pour Cristal défense (Au Diable Vauvert) et dont plusieurs ont été republiés en poche (Pocket).

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A propos de l'écrivain

Catherine Fradier

 

Première femme de la brigade de nuit du 13e arrondissement de Paris, agent de sécurité, Catherine Fradier a beaucoup bourlingué avant de devenir écrivain. Aujourd’hui romancière, scénariste et nouvelliste, elle a été récompensée par le Grand prix de littérature policière en 2006 pour La Colère des enfants déchus et par le Prix SNCF du polar français en 2008 pour Camino 999. Elle vit dans la Drôme. Après Cristal Défense en 2010 (prix Michel Lebrun) et La Face cachée des Miroirs en 2011 parus au Diable Vauvert, Le Stratagème de la lamproie est la troisième saison de la série de l’ASE de Léo de Coursange (présentation sur le site de l’éditeur actuel de Catherine Fradier, Au Diable Vauvert).

 

A propos du rédacteur

Marc Ossorguine

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature espagnole (et hispanophone, notamment Argentine) et catalane, littératures d'Europe centrale (surtout tchèque et hongroise), Suisse, littératures caraïbéennes, littératures scandinaves et parfois extrême orient (Japon, Corée, Chine) - en général les littératures non-francophone (avec exception pour la Suisse)

Genres et/ou formes : roman, poésie, théâtre, nouvelles, noir et polar... et les inclassables!

Maisons d'édition plus particulièrement suivies : La Contre Allée, Quidam, Métailié, Agone, L'Age d'homme, Zulma, Viviane Hamy - dans l'ensemble, très curieux du travail des "petits" éditeurs

 

Né la même année que la Ve République, et impliqué depuis plus de vingt ans dans le travail social et la formation, j'écris assez régulièrement pour des revues professionnelles mais je n'ai jamais renié mes passions premières, la musique (classique et jazz surtout) et les livres et la langue, les langues. Les livres envahissent ma maison chaque jour un peu plus et le monde entier y est bienvenu, que ce soit sous la forme de romans, de poésies, de théâtre, d'essais, de BD… traduits ou en V.O., en français, en anglais, en espagnol ou en catalan… Mon plaisir depuis quelques temps, est de les partager au travers de blogs et de groupes de lecture.

Blog : filsdelectures.fr