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Une histoire de la naissance, René Frydman (par Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard 24.09.21 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Essais, Grasset

Une histoire de la naissance, René Frydman, Grasset, en coédition avec France Culture, juin 2021, 280 pages, 20 €

Edition: Grasset

Une histoire de la naissance, René Frydman (par Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard)

 

Identifier le projet d’abord, ce que l’auteur a voulu restituer ensuite. Et se garder de mettre un je immédiat, du je, d’émettre un avis. Écrire à propos de la naissance, c’est faire naître la naissance, non point le départ mais ce qui nous est commun à tous. Ce qui nous distingue. Nos rites, nos mythes, nos superstitions, nos coutumes. Nos usages fondateurs. Notre devenir. Entrer dans le naos de l’intime. Un livre donc n’y suffira pas, aussi précis et organisé soit-il, lequel prolonge et reprend La Naissance, Histoire, cultures et pratiques d’aujourd’hui, que René Frydman a écrit avec Myriam Szejer en 2010, publié chez Albin Michel.

Il faudrait au moins un musée. Soit. Un musée de la naissance.

Quelle fut pour vous la découverte majeure du XXe siècle ?

La conquête de l’Espace ?

La pilule.

Quel sera l’avenir de l’homme ?

La puce.

« Au XXe siècle, d’invisible, l’embryon humain est devenu visible. D’intouchable, il est devenu manipulable. Cela a rendu nécessaire la définition de règles éthiques pour établir un cadre clair et des limites à ne pas dépasser ».

Hommes et femmes sont des êtres cycliques et hormonaux, soumis (entre autres) aux activités souterraines de leurs gamètes. Leur cerveau, observé en action par lui-même au XXIe, déclenche les hormones qui animent la production continue de l’un, le stock immuable de l’autre. Réactions en chaîne et jeux de dominos hormonaux dans les canaux et tunnels des corps qui, eux seuls, sélectionnent tel ou tel, pour telle ou telle. Pour la femme, deux cycles, les hormones du premier, ovarien, déclenchent celles du second, utérin. Du berceau au nid. Pour les deux, la même ligne de départ sur laquelle se délester de ses quarante-six chromosomes pour n’en comporter que vingt-trois et pouvoir ainsi rencontrer l’autre. Vingt-trois plus vingt-trois. Comment ne pas être fasciné par les profondeurs de la formation, quasi simultanée, des membranes embryonnaires que René Frydman détaille, leur fulgurante créativité, leur implacable vulnérabilité. Quelle force intervient alors, attirant les noyaux de l’un et l’autre l’un vers l’autre, aimantant l’ovule mûr éjecté de son follicule vers telle ou telle trompe, un mois à gauche, un mois à droite, quelle force pousse une cellule à devenir deux, quatre, huit, des milliards. Une personne, deux, quatre, huit, des milliards. Nous ne savons pas. Que la première cellule dont nous sommes issus a l’âge de notre mère.

La parole de René Frydman est aussi lisible qu’honnête, technique qu’humaine, réconciliant ici ces quatre adjectifs. Sécurisant sans jamais les juger ceux qui ont été testés, sondés, évalués, opérés, ponctionnés, implantés. Aspirés et amputés. Condamnés puis oubliés. Les couples éprouvant dans leur chair les acronymes qui scindent la sexualité de la fécondité, la conception de la grossesse. De la réussite à l’échec, des échecs aux naissances. Hommes ou femmes. Qui est le père désormais, qui est la mère, qui est l’embryon, le fœtus, qui sont ses futurs parents. La mère qui enfante, le père qui porte. La mère qui accouche et sa compagne qui allaite. Celui qui donne son sperme, celle qui donne ses ovocytes, celle qui les reçoit enceinte d’une autre femme. Les êtres qui élèvent seuls ou ensemble, les questions du XXIe siècle sont fondamentales. Elles concernent les hommes. Elles concernent les femmes et les hommes qui refusent d’avoir des enfants, désirent absolument en avoir et connaissent l’impossibilité, l’infertilité de plus en plus tôt. Ils veulent en avoir de plus en plus tard. À deux ou seuls.

Leur avenir ? Les banques. Cryopréserver ses ovocytes tant qu’ils sont encore jeunes. Ou croire aux contes que la science autorise. Cryopréserver ses gamètes, hommes ou femmes, tant qu’ils sont encore viables. Et à l’instar des belles endormies, se laisser réveiller par un baiser. Être né en 2021 d’un embryon cryopréservé, daté de 2000, dans un utérus greffé. Être capable de cela.

Être capable de voir les mains d’une femme crispées, lacérant le drap tandis que son corps se dilate, expulse, délivre le corps capable. Pouvoir sentir lorsque le fœtus suit la main de sa mère et se place sous sa respiration in utéro, à travers la paroi abdominale, le geste du père dépassant tous les plans musculaires. Et ses propres tabous. Être un médecin capable de considérer l’être unique dans sa douleur, ses mystères, ses volontés, ses impuissances, unique car pensé et reconnu dans sa structure collective.

Les parlementaires devraient lire ce livre sans convictions hâtives ni raisonnements erronés, pour toujours mieux écouter le monde tel qu’il vit et se déploie, assurément complexe et plastique. L’ensemble de la société devrait lire ce texte pour se souvenir des définitions humaines qui fondent notre vie en commun. Pour ne plus brandir des termes stérilisés, des bannières comme autant de pics meurtriers. Écouter. Expliquer. Encadrer. Protéger. Accompagner. Pour que la vigilance demeure. Pour appréhender toutes les singularités qui alimentent la naissance, quel que soit son lieu sur cette terre. Un livre donc et son projet, un musée pourquoi pas s’il offre cela.

Et qui sait, peut-être même saisir la sienne, sa propre naissance, cette réflexion que la mort ne permet pas. Comprendre ce que fut notre naissance et ce que le corps a ouvert, grâce à elle.

« L’acte de naître s’est toujours situé dans un entre-deux. Entre la vie et la mort. Entre le passé et l’avenir. Entre la tradition et la modernité. L’accouchement est un chaos initial. Comment dès lors ne pas faire appel à l’extraordinaire ? Les rituels sont peut-être moins visibles, mais ils n’ont pas disparu pour autant. Pour peu que nous leur fassions une place dans nos maternités, nous en verrions fleurir la grande variété ».

 

Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard

 

Lire La peau des pêches de Salomé Berlioux, publié en 2021 chez Stock, pour prolonger en littérature la réflexion. L’infertilité silencieuse d’un « jeune » couple. La brutalité de certains praticiens mus par le résultat et le flux. Les mots et les déflagrations. La maladresse ou la méconnaissance des proches.

 

René Frydman est un spécialiste internationalement reconnu de la médecine de la reproduction. De la naissance du premier « bébé-éprouvette » en 1982 à la greffe d’utérus en 2021, il n’a cessé de participer aux progrès de sa spécialité.

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A propos du rédacteur

Jeanne Ferron-Veillard

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Jeanne Ferron-Veillard naît le 16 septembre 1975, à Lorient. Grandit en Bretagne puis à Albi. A l’âge des grandes mutations, part sur Paris : pensionnaire à l’école de La Légion d’Honneur. Les études ? Niveau licence, quelques souvenirs en Lettres Modernes. Puis ce sera l’Angleterre où elle restera quatre années. Retour en France, entre autres responsable d’une très jolie librairie à Paris. Petit tour de France puis du monde, lit, écrit et vit depuis au même endroit incognito.