Un ciel rouge, le matin, Paul Lynch
Un ciel rouge, le matin, mars 2014, traduit de l’Anglais (Irlande) par Marina Boraso, 283 pages, 20 €
Ecrivain(s): Paul Lynch Edition: Albin Michel
Course poursuite à travers le vaste monde
Le talent de conteur de Paul Lynch happe le lecteur dès la première page du roman et laisse entrevoir une intrigue sombre et sûrement funeste pour ses personnages. Mais attardons-nous un instant sur sa prose poétique torturée : « D’abord il n’y a que du noir dans le ciel, et ensuite vient le sang, la brèche de lumière matinale à l’extrémité du monde. Cette rougeur qui se répand fait pâlir la clarté des étoiles, les collines émergent de l’ombre et les nuages prennent consistance. La première averse de la journée descend d’un ciel taciturne et tire une mélodie de la terre ». On devine aisément toute la poésie résultant des chuintantes, des sifflantes et des sonorités dures ou gutturales de la langue anglaise dans cette description présageant une matinée hors du commun…
Et en effet, c’est dans cette aube inquiétante qu’émerge de son sommeil Coyle, le personnage principal de notre histoire : « Une tension contracte tout son être et Coyle refuse d’admettre qu’il a peur. Pendant des heures il a contemplé avec effroi la lente éclosion du jour. Derrière la vitre trouble, l’aube sur Carnavarn lui apparaît comme gondolée, une moirure de pourpre changeant. Sur les murs, la paresseuse retraite des ombres. Un immense bloc de chagrin entrave sa parole ».
Coll Coyle compte rendre une visite à Hamilton, un des fils du puissant propriétaire pour qui il travaille. Il veut comprendre pourquoi ce dernier a décidé d’expulser lui et sa famille hors de leur habitation. Cependant, la rencontre tourne au drame pour Coll Coyle. De nouveau, la description est chargée de symboles : « Une pluie effilée tombe d’un ciel de vif-argent, et le monde alentour a le mutisme des pierres. Patiemment, la pluie annexe le paysage à sa nappe liquide, les arbres et les champs, le muret de pierre et le sang qui continue de sourdre, avec ses ruisselets écarlates que la terre accueille dans son giron ». La nature, témoin oculaire du méfait, semble poursuivre son œuvre avec indifférence devant le désarroi du jeune métayer car « Autour de Coyle le monde chavire… ».
S’ensuit alors une fuite en avant pour le protagoniste talonné par Faller, son double démoniaque, déterminé à le traquer mort ou vif. Obligé d’abandonner sa famille et ses proches, Coyle s’engagera dans une course folle le conduisant jusqu’en Pennsylvanie où l’attendra son destin…
Un ciel rouge, le matin est un récit qui retrace la rudesse de l’existence des Irlandais sous le joug des Anglais à l’orée du 19ème siècle. L’histoire se déroule en 1832 et relate au travers des « damnés de la terre », comme Coll Coyle ou encore comme son compagnon d’infortune Cutter, l’existence des hommes sans biens, broyés par un système social inique. Le lecteur entrevoit la tragédie qui décime toute la famille de Coyle et symboliquement, celle de l’Irlande par les colons anglais.
Un ciel rouge, le matin est une fresque sombre, tourmentée comme le paysage du Donegal, terre sauvage bordée de marécages qui a vu grandir l’auteur. Son écriture poétique et lyrique rend hommage à ces hommes anonymes qui ont tant espéré et qui se retrouvent emportés par l’Histoire, déracinés et exilés. Le roman s’inspire selon Paul Lynch de la découverte d’un fait divers retraçant le périple de ces hommes et de leur mort sur une terre étrangère sans pierre tombale ni épitaphe. Il s’agit de la découverte de cinquante-sept corps d’ouvriers du rail irlandais. Ils ont été exhumés d’une tranchée près de Philadelphie. Ces hommes semblaient succomber, pour certains, à l’épidémie de choléra tandis que d’autres ont été assassinés pour éviter la contagion. Ces hommes semblaient venir du même village dans le comté de Donegal.
Ainsi, Paul Lynch confie-t-il à l’Express : « J’ai découvert cette histoire par hasard, dans un documentaire. Il me semblait que je connaissais ces hommes. Mais j’avais besoin d’expliquer comment ils étaient arrivés là, de saisir leur existence avant qu’elle ne devienne une légende ».
La force évocatrice de la description de la nature et du destin des individus inscrit l’esthétique de Paul Lynch dans la lignée des Faulkner et Yeats tant il a su peindre l’âme torturée des lieux et ses habitants.
Un ciel rouge, le matin tient toutes ses promesses et ouvre de belles perspectives à son auteur. Comme le disait si justement Colum McCann : « Paul Lynch (…) est en train de créer son propre territoire littéraire ».
Victoire Nguyen
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