Réveiller les lions, Ayelet Gundar-Goshen
Réveiller les lions, septembre 2017, trad. hébreu Laurence Sendrowicz, 413 pages, 22,50 €
Ecrivain(s): Ayelet Gundar-Goshen Edition: Presses de la Cité
Lui, Ethan, est médecin, elle, Liath, est policière. Sirkitt est Erythréenne et n’aurait jamais dû entrer dans leur vie. Il suffit de ce que l’on appelle – très vite, pour ne plus y penser – un concours de circonstances, pour que le chemin de ces trois personnages dévie de son cours, prenne un autre sens.
Ethan, muté depuis peu à l’hôpital de Beer Sheva pour n’avoir pas voulu fermer les yeux sur la corruption de son maître et professeur de médecine, décide après une journée éreintante de lancer son 4X4 sur une piste en plein désert et en pleine nuit, une nuit de pleine lune. Et il percute quelque chose qui se révèle être un homme Noir. Après examen de l’accidenté, décidant qu’il ne peut plus rien pour lui, il laisse l’homme agonisant et prend la fuite.
Le lendemain, une Erythréenne sonne à sa porte, lui rapportant le portefeuille qu’il a laissé tomber près du mourant. S’ensuit une sorte de chantage : elle se taira, mais chaque nuit il devra soigner, dans un hôpital de fortune installé dans un hangar désaffecté en plein désert, les nombreux sans papiers arrivés par des canaux plus ou moins douteux et qui manquent du minimum de soins.
Ethan, le médecin intègre, va connaître la dissimulation – il va même voler des médicaments –, la misère, le clivage entre ces populations privées de tout, en marge, et la société dans laquelle il vit, sur fond d’enquête sur l’Erythréen mort… menée par Liath. Cette dernière s’obstine à refuser de voir en la personne d’un jeune Bédouin le coupable tout trouvé.
De ce moment, entre les personnages des trois communautés, des liens se tissent, des relations changent, s’échangent. On découvre une vie parallèle dont on n’aurait jamais eu – ou voulu avoir – une connaissance nette, dont on soupçonnait l’existence, mais dans une strate improbable de la société avec laquelle rien n’interférerait jamais.
Roman de la différence, de l’indifférence entretenue, du clivage non dit déjà entre Ethan, Ashkénaze, et Liath, Séfarade : « La plupart du temps, elle préfère se dire qu’elle avance dans ce monde, débarrassée de sa couleur de peau, de son nom de famille et de son origine ethnique. Qu’elle n’est ni Liath Samouha issue d’une cité d’Or-Aqiva, ni Liath Green résidant dans une belle villa à Omer » (p.115).
Clivage aussi avec la population bédouine, condamnée à jouer le mauvais rôle, celui de dealer, ou son propre rôle, en se caricaturant aux yeux des touristes : « Du coin de la tente où il est resté, Sharef observe son père qui discute, plein d’assurance, avec tous ces inconnus. (…) Pourtant, quelqu’un vient de s’écrier :
– Dis-moi, mon frère, pourquoi tu portes une robe ? (…) Son père va obligatoirement s’arrêter de jouer et ordonner à l’imbécile de sortir. (…) Mais non. Son père poursuit comme si de rien n’était » (p.203).
Clivage aussi avec cette population de Noirs africains qui arrivent, flot ininterrompu, à « l’hôpital » improvisé d’Ethan, révélant des maux resurgis de la misère : « Il essaie de s’apitoyer sur leur sort mais n’arrive pas à contenir sa répulsion. Et pas seulement à cause de l’odeur et des sécrétions, mais aussi à cause des visages. Etrangers. Hagards. Totalement reconnaissants (…) quand on n’a pas le moindre mot, ne reste que la chair. Fétide. Putréfiée. Couverte d’ulcères, de sérosités, d’irritations, de cicatrices. C’est peut-être ce que ressent un vétérinaire » (p.71).
Roman de la découverte de soi, de l’autre, de la prise de conscience. De « l’écart » : un écart de conduite, dans tous les sens du terme, une enquête policière sur soi, jusqu’à la révélation : le chemin qu’on a emprunté n’est pas celui qu’on croyait vouloir prendre, mais qu’on devait prendre.
Anne Morin
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