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Première neige sur le Mont Fuji, Yasunari Kawabata

Ecrit par Victoire NGuyen 25.09.14 dans La Une Livres, Japon, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Albin Michel, Nouvelles

Première neige sur le Mont Fuji, août 2014, traduit du Japonais par Cécile Sakai, 156 p. 16 €

Ecrivain(s): Yasunari Kawabata Edition: Albin Michel

Première neige sur le Mont Fuji, Yasunari Kawabata

 

Esquisse des sentiments


Première neige sur le Mont Fuji constitue une curiosité de cette rentrée littéraire 2014. En effet, cet ouvrage est une anthologie de six récits inédits de Yasunari Kawabata. Comme le précise la quatrième de couverture, ce sont des nouvelles qui ont été écrites entre 1952 et 1960. Ils ont été réunis une première fois par l’auteur lui-même pour une publication antérieure. Ici, Cécile Sakai, traductrice et spécialiste de l’œuvre kawabatienne, les a choisis pour mettre en lumière l’art de l’auteur à fixer les instants, les impressions et les portraits de ses personnages.

Dans la nouvelle-titre, Kawabata insiste sur les retrouvailles d’un couple au pied du Mont Fuji lors des premières neiges. Ils contemplent cette beauté éphémère et pure encore de toute trace humaine tout en se penchant sur un passé détruit où l’amour n’a plus sa place. Seuls planent la mort et la folie. Le lecteur, à la fin du récit, ressent l’arrière-goût mélancolique du temps qui passe et qui efface toute joie et candeur.

Cependant, la gravité bien connue du Maître devient plus visible dans le second texte En silence. Ce dernier s’interroge sur le pouvoir de l’écriture et son impuissance dans la traduction des sentiments et émotions. Mais il met aussi en exergue l’étroite relation entre la littérature et la mort. La thématique du fantôme et la présence du personnage de l’écrivain traduisent peut-être l’importance que Kawabata conférait au rôle de l’écrivain : celui qui jette des ponts entre les mondes… Terre natale etUne rangée d’arbres s’interrogent sur le lien entre le passé et le présent. Ils soulignent plus qu’aucun autre récit le passage du temps et la nostalgie des souvenirs qui surgissent comme des esprits errants. La présence de l’automne, le délaissement par les arbres de leurs feuilles insiste sur la tristesse et le regret devant une forme de beauté révolue dont il ne reste que des vestiges. Le thème de l’enfant et de la mort trouve écho dans les nouvelles Gouttes de pluie et La jeune fille et son odeur. Ils retracent ici l’innocence de l’enfant qui immanquablement le conduit à être victime de la cruauté des adultes. DansGouttes de pluie, le jeu insouciant des jeunes garçons se termine par un accident grave. Dans La jeune fille et son odeur, l’auteur revient sur les thématiques qui lui sont chères : la tentation du suicide, la mort, la perte de l’innocence, la folie et la relation mère/fille. Ces thèmes sont récurrents dans son œuvre car ils reflètent la part autobiographique. N’oublions pas que Kawabata a été très tôt orphelin de père et de mère. Toutes les présences féminines ont très tôt disparu (sa mère, sa sœur aînée et sa grand-mère) dans la vie de l’écrivain.

En conclusion, cet inédit est une très grande opportunité pour (re)découvrir cet auteur majeur de la littérature japonaise d’après-guerre. Il a été une source d’influence pour ses contemporains tel que Yukio Mishima mais aussi pour les modernes dont Haruki Murakami.

 

Victoire Nguyen

 


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A propos de l'écrivain

Yasunari Kawabata

Yasunari Kawabata est né le 14/06/1899. Il entre dans le 20ème siècle sans fracas mais avec fragilité. En effet, il est venu au monde à sept mois et cette naissance prématurée est survenue dans une époque où la médecine n’est pas encore au point pour traiter de ce cas. De ce fait, sa santé en subira de lourdes conséquences. Les génies ne président pas favorablement au destin du petit homme. Yasunari Kawabata connaît très tôt les deuils successifs : son père, sa mère puis sa grand-mère et sa sœur aînée. Il soignera son grand-père aveugle et malade jusqu’à la mort de celui-ci. Il a alors 15 ans.

Cependant, il se révèle très vite à la littérature dès l’âge de 16 ans avec son journal autobiographique : Journal intime de la 16ème année. Son talent se confirmera plus tard avec cette douce mélancolie qui touche presque toute son œuvre. Pays de neige, considéré comme son chef-d’œuvre absolu condense tout l’art de Kawabata, de l’ellipse à la peinture à peine effleurée de l’âme et du cœur. Son œuvre est grave comme l’homme, profonde et toujours un hymne à la nature et aux vivants.

La consécration vient en 1968 avec le prix Nobel de littérature. Il est considéré comme l’un des plus grands écrivains du 20ème que le Japon ait connu. Son suicide survient en 1972 en toute discrétion si on peut dire. Ainsi l’homme s’en va avec élégance et noblesse venant à la mort avant qu’elle ne vienne à lui.

A propos du rédacteur

Victoire NGuyen

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Un peu de moi…

Je suis née au Viêtnam en 1972 (le 08 Mars). Je suis arrivée en France en 1982.

Ma formation

J’ai obtenu un Doctorat es Lettres et Sciences Humaines en 2004. J’ai participé à des séminaires, colloques et conférences. J’ai déjà produit des articles et ai été de 1998 – 2002 responsable de recherche  en littérature vietnamienne dans mon université.

Mon parcours professionnel

Depuis 2001 : Je suis formatrice consultante en communication dans le secteur privé. Je suis aussi enseignante à l’IUT de Limoges. J’enseigne aussi à l’étranger.

J'ai une passion pour la littérature asiatique, celle de mon pays mais particulièrement celle du Japon d’avant guerre. Je suis très admirative du travail de Kawabata. J’ai eu l’occasion de le lire dans la traduction vietnamienne. Aujourd’hui je suis assez familière avec ses œuvres. J’ai déjà publié des chroniques sur une de ses œuvres Le maître ou le tournoi de go. J’ai aussi écrit une critique à l’endroit de sa correspondance (Correspondance 1945-1970) avec Mishima, auteur pour lequel j’ai aussi de la sympathie.