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Petit bréviaire du vin et de l’ivresse –– Claudine Brécourt-Villars (par Catherine Dutigny)

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa 22.09.25 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Essais, La Table Ronde

Petit bréviaire du vin et de l’ivresse –– Claudine Brécourt-Villars Petit bréviaire du vin et de l’ivresse, Editions La Table Ronde, septembre 2025, 224 pages, 19 €

Edition: La Table Ronde

Petit bréviaire du vin et de l’ivresse –– Claudine Brécourt-Villars (par Catherine Dutigny)

 

Le vin a toujours cheminé aux côtés des plus grands écrivains, et ce depuis l’Antiquité. Euripide, dans Les Bacchantes, en dressait déjà le portrait spirituel : « Le vin est le miroir de l’âme ». Le Moyen Âge, quant à lui, l’honorait en tant qu’élixir d’amour et de passion, le dotant de vertus aussi bien aphrodisiaques que thérapeutiques, notamment contre la mélancolie.

De Rabelais à Baudelaire, en passant par Alexandre Dumas, le vin a irrigué traités, romans et recueils poétiques. Rabelais, dans son Traité du vin, prône avec verve cette joyeuse médecine : « Une âme folâtre est grande salubrité : le buveur de bonnes mœurs sait s'en souvenir. Un vin exquis, bu tripe creuse, renouvelle les forces [...] C'est pourquoi il convient, dès potron-minet, de se rincer le museau, de s'humecter les poumons, de se laver les tripes : ainsi vous serez fringants et ingambes [...] ». Baudelaire, grand amateur de Bordeaux, inverse la perspective : pour lui, l’excès, l’ivresse, entraînent vers les gouffres les plus sombres.

Dans Le Vin de l’assassin, la coupe devient complice du meurtre : « Ma femme est morte, je suis libre ! Je puis donc boire tout mon soûl. Lorsque je rentrais sans un sou, Ses cris me déchiraient la fibre. » Et dans Le Poison, le vin sublime le sordide : « Le vin sait revêtir le plus sordide bouge d'un luxe miraculeux, et fait surgir plus d'un portique fabuleux, dans l'or de sa vapeur rouge, comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux. »

Avec son Petit bréviaire du vin et de l’ivresse, Claudine Brécourt-Villars fait revivre, de la lettre A à la lettre Z, plus d’une centaine de mots, locutions, expressions familières ou argotiques, accompagnés de leurs synonymes, glanés dans les romans où le vin est tantôt célébré, tantôt vilipendé. Fidèle à la méthode qu’elle avait adoptée dans son précédent glossaire Du couvent au bordel, Mots du joli monde¹, elle propose pour chacune des 147 entrées une notice retraçant l’origine du terme, suivie de citations d’écrivains.

Certaines expressions nous sont encore familières, mais leur provenance se révèle souvent savoureuse, parfois cocasse, et plus ancienne qu’on ne le croit. Ainsi, le mot « cru », qui désigne aujourd’hui un vin de qualité, portait jadis une connotation bien moins flatteuse. Le dicton médiéval en témoigne : « Du vin du cru que Dieu nous garde ! »

L’ouvrage n’hésite pas à explorer les détours grivois du langage bachique. Du contenu d’une Dame-jeanne (référence à sa forme) qui « a de la cuisse » (et se laisse difficilement « dépuceler »), aux bouteilles promises à la guillotine (guillotiner une négresse), tout est prétexte à métaphores suggestives y compris si vous êtes « porté sur la blonde » ... Le vocabulaire s’épanouit avec la même liberté qu’un bon vin débouché trop tôt.

Et puisqu’il s’agit d’un bréviaire, le vin de messe, ou pas, n’est pas en reste. Les expressions blasphématoires abondent, de « C’est la Vierge qui vous pisse dans le gosier » à « C’est le bon Dieu en culotte de velours », sans oublier « L’eau bénite de cave » chère à Rabelais, prélude inévitable aux fameuses « vignes du Seigneur ».

Parmi les 226 auteurs convoqués, les plus cités demeurent Balzac, Queneau, Colette, Huysmans, Zola, Maupassant, Baudelaire, Sade ou encore Jean Giono — autant de plumes qui, chacune à sa manière, ont porté le vin sur les autels de la littérature.

Ainsi, qu’il soit acerbe ou suave, corsé ou capiteux, le vin conserve une place inaliénable dans nos lettres, de l’assommoir au mastroquet, du bistrot à l’estaminet.

On peut déguster ce bréviaire dans l’ordre alphabétique, ou bien, avec un peu de « vent dans les voiles » — voire complètement « bourré comme un coing » —, s’y promener au gré de ses envies. Quoi qu’il en soit, Claudine Brécourt-Villars nous offre un recueil à la fois érudit et parfaitement gouleyant.

¹ https://www.lacauselitteraire.fr/du-couvent-au-bordel-mots-du-joli-monde-claudine-brecourt-villars

 

Catherine Dutigny

 

Claudine Brécourt-Villars est spécialiste de la littérature et des idées de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. Elle est l'auteure de biographies de personnalités du spectacle et de dictionnaire, dont Les Mots d'Arletty, grâce à laquelle elle remporte le Prix de l'humour Alphonse Allais en 1989Professeure de lettres, historienne de la littérature et linguiste affranchie des conventions, Claudine Brécourt-Villars « scandalise » depuis près de quarante ans : ses projets d’étude sont autant de projectiles à l’encontre du sens commun, ses publications autant de pierres d’un ensemble hétérodoxe. On lui doit entre autres publications : Ma double vie, Sarah Bernhard (Poche, 2012), Mots de table, mots de bouche Dictionnaire étymologique et historique du vocabulaire classique de la cuisine et de la gastronomie (Poche, 2009), Les poètes et les putains, en collaboration avec Régine Deforges (Laffont, 2004).

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A propos du rédacteur

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Rédactrice

Membre du comité de lecture. Chargée des relations avec les maisons d'édition.


Domaines de prédilection : littérature anglo-saxonne, française, sud-américaine, africaine

Genres : romans, polars, romans noirs, nouvelles, historique, érotisme, humour

Maisons d’édition les plus fréquentes : Rivages, L’Olivier, Zulma, Gallimard, Jigal, Buschet/chastel, Du rocher, la Table ronde, Bourgois, Belfond, Wombat etc.