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Petit bréviaire du parfait féministe, Jean-Joseph Renaud

Ecrit par Michel Host le 20.08.15 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Petit bréviaire du parfait féministe, Jean-Joseph Renaud

 

Petit bréviaire du parfait féministe Ou comment répondre une bonne fois pour toutes aux arguments misogynes, Jean-Joseph Renaud, éd. Autrement, janvier 2015, postface de Jean-Baptiste Coursaud, illustrations de Pénélope Bagieu, 139 pages, 10,50 € (www.autrement.com)

 

Continuons le Combat !

 

Mais la question posée par le contempteur, « Alors qui donc raccommodera les chaussettes ?… Et décrassera les enfants ?… », fait singulièrement écho à la désormais fameuse et toujours aussi peu reluisante boutade attribuée à Laurent Fabius, au moment où Ségolène Royal annonçait son intention de se présenter à l’élection présidentielle : « Qui va garder les gosses ? »

Jean-Baptiste Coursaud, Postface

D’abord, qui est l’auteur de ce « bréviaire », Jean-Joseph Renaud ? Un brillant et bouillant jeune journaliste de notre époque ? Un essayiste pressé de se tailler une réputation de féministe agissant ? Quelque plume stipendiée par les « scandaleuses » Femen ou désireuse de soutenir les combattantes du groupe Ni putes ni soumises, plus discrètes et aux arguments moins exclusivement mammaires ? Un combattant de la onzième heure, enfin, qui, se sentant plutôt Grouchy se serait soudain voulu Blücher ? Eh bien, on se tromperait du tout au tout à se rallier à ces hypothèses. Il fut l’un des premiers – du moins pour ce qui est de la France – à entrer dans la bataille : c’est en 1910 que parut son Catéchisme féministe, non sans succès. Il se voulut le « propagandiste » de la révolte féministe née à la fin du siècle précédent, et son « catéchiste », si toutefois l’on veut bien se souvenir que ces termes n’avaient pas alors les mêmes connotations que de nos jours. On se fourvoierait aussi à voir en lui l’un de ces philosophes aux épaules étroites et au biceps mou pratiquant sa musculation mentale au Gymnase Olympe de Gouges. Excellent escrimeur, il représenta la France aux J.O. de 1900 et 1908. Sa biographie, ci-dessous, vous en dira davantage. Donc, un homme, un vrai, un avant-gardiste de la Belle Époque, conscient et soucieux de justice pour cette moitié de l’humanité que l’Histoire a marginalisée et reléguée au second plan.

On se tromperait encore à penser que le combat féministe serait aujourd’hui derrière nous, voire gagné. Combien de femmes sur les marches de l’Élysée, réunies autour du président de la République et du premier ministre lors des clichés officiels ? Combien de femmes (même si l’on compte des avancées) à la tête des grandes entreprises et des organismes internationaux ? J’ai pu constater que si dans la littérature les femmes ont gagné des « parts de marché », ce n’est guère le cas dans le « marché de l’art » où – hormis cas sociologiques particuliers ou alliances matrimoniales privilégiées – leur difficulté à se faire reconnaître comme artistes à part entière reste identique à ce qu’elle a toujours été (1). Elles sont ici face à leurs ennemis de toujours, et à la puissance de l’argent manié par les hommes. Inutile, enfin, de signaler l’intolérable puanteur de la misogynie nous venant des sphères monothéistes quelles qu’elles soient : on verrait de la judéophobie, de la christianophobie, de l’islamophobie, et que sais-je encore dans ce bref constat des faits.

Je témoignerai volontiers et abondamment encore de la persistance de la mauvaise herbe de la misogynie dans les jardins de nos villes policées : tels comparateurs d’inspiration animalière pour telle ministre, tels sagouins brocardant et sifflant le port de la robe ou de la jupe par telle autre ministre amie des fleurs… Ni la gauche dite « éclairée », ni la droite dite « obscurantiste » ne sont épargnées qui confondent à l’envi plaisanterie et grossièreté dès qu’il est question des femmes. Nos animaux politiques, tout comme les autres hommes, sont encore et toujours malades de la peste discriminatoire, car, nous le savons, « ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ».

Il résulte de ce constat minimal que la lecture du Petit bréviaire (2) de Jean-Joseph Renaud ne sera un luxe pour personne. Qu’y apprendra-t-on, soit à titre de rappel soit à titre « instructif » ? À un buffle doublé d’un mufle tel ce Donald Trump qui se pense expert en physiologie féminine et fait parler de lui ces jours-ci –  l’actualité nous donne du grain à moudre –, les réponses fournies par J.-Joseph Renaud restent d’actualité, même en faveur de femmes aujourd’hui « protégées » par des méthodes et des techniques performantes. Pas plus qu’en 1910, les femmes « indisposées » ne « ratent leurs articles » si elles sont journalistes et aucune, quel que soit son métier, n’est privée « de sa lucidité intellectuelle » dans ce cas. Quant à M. Fabius, qui les préfèrerait toutes à la maison, on lui soufflera volontiers cette réplique, surtout en notre temps où les mères célibataires sont légion : « Mais où trouveraient-elles du pain ? Sur le trottoir… ». Les propositions concernant les jeunes filles à marier des milieux bourgeois ne manquent pas de sel, et ne marchent pas en sens inverse des mœurs de notre époque : plutôt le travail et l’indépendance financière que l’obligation du « mariage de raison » sans amour.

Les réflexions de notre escrimeur concernant le mariage, l’inégalité du traitement de l’épouse dans le code civil, sont nombreuses et pertinentes. Souvenons-nous qu’il n’est pas si lointain le temps où l’époux disposait de tous les biens et avoirs du couple et où l’épouse ne pouvait avoir de compte en banque personnel, où les frasques masculines plongeaient parfois les familles dans une ruine irrémédiable… Souvenons-nous que l’épouse anglaise bénéficiait déjà de la « Law of the married women’s property », souvenons-nous encore qu’en ce début de XXIe siècle, la revendication « À labeur égal, salaire égal ! » reste encore largement à satisfaire, en France notamment. Les reproches faits aux femmes émancipées ou souhaitant l’être trouvent ici des réponses adéquates et souvent pleines d’esprit, qu’il s’agisse de la concurrence faite aux hommes dans divers métiers ou de la supposée masculinisation de la femme féministe (cette protestation au nom de la Beauté, faite souvent par des messieurs ventripotents, ne manque pas de sel !). Sont on ne peut plus utiles les rappels historiques concernant les supposées différences de capacités physiques et intellectuelles, ladite « puissance maritale », le Code Napoléon si injuste envers la femme qu’il voue à une subordination éternelle, la dot, le tutorat vis-à-vis des enfants, l’union « libérée » (dont J.-Joseph Renaud est un chaud partisan), l’exercice de la capacité civile… Diverses citations des pro et des antiféministes donnent un relief piquant à l’argumentation de ce « petit bréviaire » : ainsi de Napoléon parlant aux rédacteurs de son Code : « Il faut que le mari puisse valablement dire à sa femme : “Non, Madame, vous ne sortirez pas !” ou “Vous sortirez !” et qu’il n’ait même pas à expliquer ses volontés ». Il est suggéré que le passage de Bonaparte au pied des pyramides n’est pas pour rien dans cet emprisonnement… Ainsi encore d’Alexandre Dumas fils, citant une belle liste de femmes remarquables du passé : « – Quel inconvénient verriez-vous à ce que Mme de Sévigné votât, tout comme son jardiner ? »… Parmi les questions accusatrices les plus amusantes, celles-ci : « Alors vous trouvez que la femme n’a pas assez à faire dans son ménage et vous voulez qu’elle s’occupe encore de politique ? », « Et que dites-vous de la réflexion nécessaire au vote ? », et comble du renversement des valeurs masculines : « Son émancipation ne donnera pas à la femme une puissance plus considérable que celle qu’elle doit à sa coquetterie. Au contraire, car la galanterie ne lui fera plus aucune faveur ». Et ainsi de suite. Les suffragettes d’Angleterre, les politiques anglais Gladstone, E.W. Pethick-Laurence (sur le droit de vote, accordé si tardivement aux femmes françaises) développent de forts arguments en faveur de l’émancipation féminine quand les politiques français sont parfois loin du compte, tel un certain M. de la Bassetière, à la Chambre, lors de la création des lycées de jeunes filles : « La femme ne doit quitter la demeure que trois fois dans sa vie, pour son baptême, pour son mariage, pour ses obsèques ». On lui fera donc respirer le grand air, puis on l’enterrera deux fois ! En revanche, la liste des écrivains et penseurs français, des intellectuels et intellectuelles favorables à cette émancipation est fort nourrie, et quoi que ce soit  injuste envers les autres, citons Emile Zola, Henri Bataille, Marguerite Durand, Pierre Louÿs, Maurice Maeterlinck, Octave Mirbeau, Jules Renard, Séverine, Mme Hyacinthe Belillon… Ni hommes ou femmes de gauche, ou de droite, mais d’abord êtres d’intelligence et de justice. Ce Petit bréviaire, outre qu’il est d’une lecture agréable, aisée, nous rappelle de lentes conquêtes, nous instruit aujourd’hui encore, nous remet en mémoire les égards dus aux femmes qui nous entourent, qui nous sont supérieures en courage et en intelligence dans bien des circonstances, nous mettent au monde quoi qu’il arrive, nous élèvent et nous soignent et qui sont, pour tout dire, à la racine de notre civilisation et de notre culture.

 

Michel Host

 

(1) En témoigne clairement le livre de Fabienne Dumont, Des Sorcières comme les autres, dont j’ai rendu compte en février 2015, dans cette même rubrique « Les Livres » (N°14)

(2) Le terme de « bréviaire » a été préféré à celui de « catéchisme »

 

Bibliographie de Jean-Joseph Renaud : Le Catéchisme féministe (1910), Le Clavecin hanté (1920), Sur le ring (roman sportif, 1921), Traité d’escrime moderne (1928)

Note biographique (reprise de l’ouvrage recensé) : Écrivain, libre penseur, traducteur d’Oscar Wilde (Intentions), chroniqueur de duels et escrimeur talentueux représentant la France aux J.O. de 1900 et de 1908, Jean-Joseph Renaud (né en 1873) a vécu mille vies. Sa vigueur et sa pertinence ont traversé les âges. Abondamment cité dans Les Escrimeurs contemporains (1898), on vante « la vigueur et la virilité de ses vingt-trois ans ». Épéiste, il écrit de ce sport et publie dans l’hebdomadaire L’Escrime française : déjà un Petit catéchisme épéiste ! Les éditions Larousse font appel à lui (1913) dans leur ouvrage L’Escrime. Il fut un duelliste redoutable et un témoin lors de nombreux duels. Il pratiqua la boxe et le jiu-jitsu. Dans les pages éclairantes que lui consacre Jean-Baptiste Coursaud (pp.119 et sqq.), il est à juste titre qualifié de « pont entre sport et féminisme ». Il a le féminin au cœur, à l’esprit, et a aussi déclaré : « J’ai eu la nostalgie de l’amour fou, de l’amour sans contraintes, intense lumineux ! » Selon moi, une tête bien faite dans un corps sain. Peut-être une tête enflammée par instants, un esprit avant-gardiste en toute certitude.

 

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A propos du rédacteur

Michel Host

 

(photo Martine Simon)


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Rédacteur. Président d'honneur du magazine.


Michel Host, agrégé d’espagnol, professeur heureux dans une autre vie, poète, nouvelliste, romancier et traducteur à ses heures.

Enfance difficile, voire complexe, mais n’en a fait ni tout un plat littéraire, ni n’a encore assassiné personne.

Aime les dames, la vitesse, le rugby, les araignées, les chats. A fondé l’Ordre du Mistigri, présidé la revue La Sœur de l’Ange.

Derniers ouvrages parus :

La Ville aux hommes, Poèmes, Éd. Encres vives, 2015

Les Jardins d’Atalante, Poème, Éd. Rhubarbe, 2014

Figuration de l’Amante, Poème, Éd. de l’Atlantique, 2010

L’êtrécrivain (préface, Jean Claude Bologne), Méditations et vagabondages sur la condition de l’écrivain, Éd. Rhubarbe, 2020

L’Arbre et le Béton (avec Margo Ohayon), Dialogue, éd. Rhubarbe, 2016

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Mémoires du Serpent (roman), Éd. Hermann, 2010

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Carnets d’un fou. La Styx Croisières Cie, Chroniques mensuelles (années 2000-2020)

Publication numérique, Les Editions de Londres & La Cause Littéraire

 

Traductions :

Luis de Góngora, La Femme chez Góngora, petite anthologie bilingue, Éd. Alcyone, 2018

Aristophane, Lysistrata ou la grève du sexe (2e éd. 2010),

Aristophane, Ploutos (éd. Les Mille & Une nuits)

Trente poèmes d’amour de la tradition mozarabe andalouse (XIIe & XIIIe siècles), 1ère traduction en français, à L’Escampette (2010)

Jorge Manrique, Stances pour le mort de son père (bilingue) Éd. De l’Atlantique (2011)

Federico García Lorca, Romances gitanes (Romancero gitano), Éd. Alcyone, bilingue, 2e éd. 2016

Luis de Góngora, Les 167 Sonnets authentifiés, bilingue, Éd. B. Dumerchez, 2002

Luis de Góngora, La Fable de Polyphème et Galatée, Éditions de l’Escampette, 2005