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Peste soit de l'horoscope et autres poèmes, Samuel Beckett

Ecrit par Matthieu Gosztola 30.03.13 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Iles britanniques, Poésie, Les éditions de Minuit

Peste soit de l’horoscope et autres poèmes, traduit de l’anglais et présenté par Édith Fournier, novembre 2012, 44 p. 7,50 €

Ecrivain(s): Samuel Beckett Edition: Les éditions de Minuit

Peste soit de l'horoscope et autres poèmes, Samuel Beckett

 

 

Cette mince plaquette donne à lire des poèmes de Beckett écrits entre 1930 et 1976 et restés inédits en français.

L’intérêt de cet ensemble, outre le caractère inédit des textes, tient à l’aperçu (saisissant) qu’il donne de l’évolution stylistique considérable qu’a suivie (ou subie) Beckett entre ces deux pôles temporels.

En effet, le Beckett des années trente s’illustre dans un style baroque, quelque peu excentrique, qui donne à voir et à penser une culture protéiforme dont le sérieux est constamment contrebalancé par un sentiment d’exubérance vrillé au corps du poète. Il n’est pas avéré que le baroque de cette écriture soit la résultante de la fréquentation que fait Beckett, à cette époque, des dadaïstes et des surréalistes.

Bien sûr, Whoroscope, le poème de quatre-vingt-dix-huit vers qu’écrivit Beckett – suite à un concours – sur la vie de Descartes, telle qu’elle fut décrite en 1691 par Adrien Baillet, est miné de l’intérieur par un souci de bien faire dont se départira bien vite le poète, mais ces nuances mises à part, déjà, alors même que Beckett débute (en juin 1930, il est encore lecteur d’anglais à l’Ecole Normale Supérieure), il apparaît qu’il a un style bien à lui, même si sa voix d’alors se tient extrêmement éloignée du style que nous connaissons, pour ce qui est du moins de sa poésie, de celui avec lequel le nom de Beckett a fini par se confondre.

Quel est ce style qui est pour nous lecteurs du XX° et du XXI° siècle inéluctablement rattaché au nom de Beckett ?

Même s’il est impossible de le résumer en quelques mots, l’on pourrait dire que c’est une sculpture du petit corps de la langue, habile et malhabile à la fois. Cette seconde caractéristique étant recherchée : l’on est face à un babil de la langue, et plus exactement à un ressassement du babil de la langue qui se confond parfois avec le murmure de l’au-delà des choses, de l’au-delà des êtres, qui est cette contrée sauvage où rien n’est plus, hormis le silence, la stupeur, bouche cousue ; qui est cette contrée sauvage où prend racine le dépérissement.

La sculpture du petit corps de la langue (semblant si mou et si dur à la fois) a lieu dans le dépouillement, l’appauvrissement continuel, dans la conscience de l’inéluctable, de la chute et de la fin, dans l’éblouissement du silence aussi.

« puis de là / narcisses / encore / mars alors / en marche encore / surprenant / encore / pour un être / si petit » (là-bas).

« pourquoi pas simplement les désespérés / d’avoir parfois / répandu un flot de mots // ne vaut-il pas mieux avorter qu’être stérile » ; « le barattage des mots rances dans le cœur encore / amour amour amour bruit sourd du vieux pilon / broyant les inaltérables / grumeaux de mots » (Cascando).

Une déception toutefois pointe dans cette édition : ne figurent pas les poèmes dont Samuel Beckett avait interdit la réédition ou la publication. Certains pourtant mériteraient d’être connus en France.

Et puis, combien de fois faudra-t-il redire aux éditions de Minuit qu’il est scandaleux d’empêcher la publication des Œuvres complètes de Beckett dans la Bibliothèque de la Pléiade ? Avoir, en un seul volume, l’ensemble de cette œuvre capitale du XX° siècle (1), revêt, plus que jamais, les traits de la plus criante nécessité qui soit.

 

Matthieu Gosztola

 

(1) Capitale aussi en ce sens qu’elle a – est-il seulement besoin de le mentionner ? – influencé, à un degré plus ou moins important, de très nombreuses œuvres contemporaines.

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A propos de l'écrivain

Samuel Beckett

 

Samuel Beckett (Foxrock, Dublin, 13 avril 1906 / Paris, 22 décembre 1989) est un écrivain, poète et dramaturge irlandais d’expression française et anglaise, prix Nobel de littérature. S’il est l’auteur de romans, tels que Molloy, Malone meurt et l’Innommable et de textes brefs en prose, son nom reste surtout associé au théâtre de l’absurde, dont sa pièce En attendant Godot (1952) est l’une des plus célèbres illustrations. Son œuvre est austère et minimaliste, ce qui est généralement interprété comme l’expression d’un profond pessimisme face à la condition humaine. Opposer ce pessimisme à l’humour omniprésent chez lui n’aurait guère de sens : il faut plutôt les voir comme étant au service l’un de l’autre, pris dans le cadre plus large d’une immense entreprise de dérision. Avec le temps, il traite ces thèmes dans un style de plus en plus lapidaire, tendant à rendre sa langue de plus en plus concise et sèche. En 1969, il reçoit le prix Nobel de littérature pour « son œuvre, qui à travers un renouvellement des formes du roman et du théâtre, prend toute son élévation dans la destitution de l’homme moderne ».

 

A propos du rédacteur

Matthieu Gosztola

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Rédacteur

Membre du comité de rédaction

 

Docteur en littérature française, Matthieu Gosztola a obtenu en 2007 le Prix des découvreurs. Une vingtaine d’ouvrages parus, parmi lesquels Débris de tuer, Rwanda, 1994 (Atelier de l’agneau), Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin (Éditions de l’Atlantique), Matière à respirer (Création et Recherche). Ces ouvrages sont des recueils de poèmes, des ensembles d’aphorismes, des proses, des essais. Par ailleurs, il a publié des articles et critiques dans les revues et sites Internet suivants : Acta fabula, CCP (Cahier Critique de Poésie), Europe, Histoires Littéraires, L’Étoile-Absinthe, La Cause littéraire, La Licorne, La Main millénaire, La Vie littéraire, Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française, Poezibao, Recours au poème, remue.net, Terre à Ciel, Tutti magazine.

Pianiste de formation, photographe de l’infime, universitaire, spécialiste de la fin-de-siècle, il participe à des colloques internationaux et donne des lectures de poèmes en France et à l’étranger.

Site Internet : http://www.matthieugosztola.com