Par ailleurs (exils), Linda Lê
Par ailleurs (exils), août 2014, 168 p. 13 €
Ecrivain(s): Linda Lê Edition: Christian Bourgois
Quel peut être le rôle de l’exil, du déracinement dans la vision du monde d’un écrivain ? Frein, déclin ou ressourcement ?
Dans un essai intitulé Par ailleurs (Exils), Linda Lê aborde cette question en évoquant tour à tour le sort d’écrivains en dissidence, exilés de l’intérieur ou contraints au départ physique. Elle y évoque également le cas de ceux qui ont changé de langue pour écrire et s’approprier ainsi un nouvel univers intellectuel autant que linguistique. La conduite d’un exilé, apprend-on, doit éviter de nombreux écueils : Edward Saïd met en garde de tomber dans « le narcissisme masochiste » et de ne pas faire de l’exil un « fétiche, une pratique qui l’éloigne de tout rapprochement ou engagement ».
Sur ce qui déclenche l’exil, comme sentiment intérieur, Linda Lê cite avec grande pertinence André Gide qui avait en son temps mené bataille contre les liaisons dangereuses entre nationalisme et littérature. Il répondit que la France devait beaucoup « à un confluent de races » et que les grands artistes étaient « les produits d’hybridations et le résultat de déracinements, de transplantations ». Un autre exilé des lettres, Klaus Mann, vit dans l’exil un aiguillon, il se définissait comme « un cosmopolite d’instinct », « toujours inquiet, toujours en quête ».
On le voit, cette situation de l’exil est loin d’avoir des conséquences identiques sur les destins de ces écrivains. Imre Kertész, dont l’œuvre est habitée par la Shoah, voit dans l’exil « une grandeur amère ». Le royaume qu’il cherche est juste « un endroit habitable ». Il y a dans cet essai beaucoup d’autres cas cités, tous significatifs et riches d’enseignement sur le rôle de l’exil dans la littérature. Ils nous donnent des indications très précieuses sur l’élaboration de l’écriture dans ce genre de circonstances. Elle peut, selon Maurice Maeterlinck, faire grandir des errants qui ont soif d’espaces et ne grandissent que dans la mesure où « ils cultivent les mystères qui les accablent ».
Un dernier rôle peut être assigné à l’écrivain, celui de l’éternel Cassandre. Cela pourrait, selon Linda Lê, s’appliquer à la situation de Marina Tsvetaeva, dont la devise était « Seule contre tous », poétesse de « l’éternelle vaillance », selon le mot de Boris Pasternak.
Ce livre fera comprendre grâce à ces multiples allusions, citations, exemples de situations les plus diverses, ce que produit l’exil dans une œuvre littéraire. Eclairant, attrayant, éloquent.
Stéphane Bret
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