Millenium 2. La fille qui rêvait d'un bidon d'essence et d'une allumette, Stieg Larsson
Millénium 2, La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette, (Flickan som lekte med elden, 2006), traduit du suédois par Lena Grumbach et Marc de Gouvenain, Babel Noir, 796 p. 10 €
Ecrivain(s): Stieg Larsson Edition: Babel (Actes Sud)Millénium, épisode 2. Le travail est prémâché pour l’auteur qui s’attaque à une suite. Le terrain est familier. On connaît déjà les personnages, on n’a pas besoin de perdre son temps en présentations, on peut tout de suite plonger dans l’action. Force est de constater que Millénium 2 n’y parvient pas. Il faut s’avaler près de deux cents pages avant que l’intrigue démarre, et alors elle le fait au rythme d’un tracteur diesel rouillé qui n’a pas servi depuis des décennies.
Le livre souffre d’un gros problème de rythme. Les personnages se multiplient et chacun analyse la situation, mais en ne faisant quasiment que répéter ce que le précédent a dit. Ça tourne en rond. Les pages défilent et rien de nouveau n’apparaît. Le livre fait 800 pages, il n’en aurait pas mérité plus de 400. A croire que l’auteur tire à la ligne.
Millénium 2 est beaucoup plus faible que le premier opus, à tel point qu’il pourrait presque faire passer son aîné pour un chef d’œuvre. Ce qui est pourtant loin d’être le cas.
Millénium 1 (Les hommes qui n’aimaient pas les femmes) était bien troussé. L’intrigue tenait la route, Stieg Larsson savait assez doser les rebondissements. Dans La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette, l’auteur donne l’impression de ne plus avoir envie de construire une intrigue et n’utilise qu’un seul ressort : la rencontre par surprise. Un personnage se promène dans une rue, ou bien il rentre dans un bar, ou bien il se trouve à un endroit inhabituel… et à chaque fois, ça ne manque pas, il tombe sur quelqu’un, quelque chose de crucial.
Une fois, ça peut marcher, et encore, cela est une solution de facilité pour un roman à (soi-disant) suspense. Deux fois, ça commence à faire beaucoup. Stieg Larsson accumule le procédé…
Le point fort de Millénium est sans conteste le personnage de Lisbeth Salander. Une hacker au trouble passé psychiatrique, antisociale, violente, hors-normes. Et voilà-t-il pas que l’auteur se sent obligé d’expliquer pourquoi elle est devenue comme ça. Il lui invente un passé. Une logique freudienne. Salander se retrouve affublée d’une sœur jumelle, d’un père dégénéré. Pourquoi vouloir justifier tous ses actes coûte que coûte ? En se faisant trop explicatif, Stieg Larrson enlève tout le mystère qui faisait le sel de son personnage. C’est dommage (et d’autant plus que le passé qui ressurgit est trop abracadabrant pour être crédible).
Enfin un mot sur le style ou plutôt son absence. Certes, Millénium n’est pas à ranger dans la catégorie des grandes écritures et on ne lit pas pour ça, mais on peut quand même demander le minimum syndical à l’auteur.
Prenons pour exemple le premier chapitre, page 15 de l’édition poche.
Premier paragraphe : « Lisbeth Salander baissa ses lunettes de soleil sur son nez et regarda sous les bords de son chapeau. Elle vit la femme de la chambre 32 arriver de l’entrée latérale de l’hôtel et se diriger vers un des transats à rayures blanches et vertes au bord de la piscine. Son regard était fermement braqué par terre devant elle et son visage était concentré. On aurait dit qu’elle ne tenait pas bien sur ses jambes ».
On remarquera la répétition de regard. On retrouve également le mot dans le troisième paragraphe(« Sans tourner la tête, elle déplaça son regard vers l’horizon »), dans le cinquième (« Elle se sentit soudain irritée et déplaça son regard vers la femme… »).
En un peu plus d’une page, cela ne fait-il pas beaucoup ? N’importe quel correcteur un tant soit peu consciencieux l’aurait vu (on notera aussi que l’expression « déplacer son regard » connaît son succès).
Poursuivons sur cette première page.
Premier paragraphe : « Elle vit la femme de la chambre 32… ».
Deuxième paragraphe : « Salander ne l’avait vue que de loin… »
Troisième paragraphe : « De sa place, elle pouvait voir un coin de mer… »
Millénium 2 est un livre de paresseux.
Yann Suty
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