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Massalia Blues, Minna Sif

Ecrit par Cathy Garcia 05.07.13 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Alma Editeur, Roman

Massalia Blues, février 2013, 392 p., 18 €

Ecrivain(s): Minna Sif Edition: Alma Editeur

Massalia Blues, Minna Sif

Être aimé ne sert à rien.

Pour ne pas être seul,

Il faut être capable d’aimer

Dino Buzatti

 

Minna Sif nous plonge au cœur d’une sorte de cour des miracles, pègre et misère s’y côtoient, pour le pire et exceptionnellement pour le meilleur. C’est Marseille la belle, ses quartiers, son vieux port, ses vendeurs à la sauvette, ses marchands de sommeil, ses parias et ses prostituées, et dans cette cour grouillante de la ville basse, un roi découronné pousse son Caddie. Clochard et clandestin, fier et roublard, Brahim refuse d’aller chercher des papiers à la préfecture. Et cela, malgré les offres d’aide insistantes de la narratrice, écrivain public du côté de la Poste Colbert, pour tout un monde sans voix, parfois même sans droits. Enfant déjà, elle était la voix de ses parents, venus eux aussi de douars marocains aux noms imprononçables.

« Cet emploi d’écrivain public était pour moi un pont ténu entre une population venue de l’autre bord de la méditerranée et cet autre monde bien ordonné qui ne voulait d’eux que du bout des lèvres, du bout de ce tutoiement dont on les gratifiait encore trop souvent ».

Brahim, vieux fou, est aussi un conteur hors pair. Lui, dont la vie comme tant d’autres a fait le grand écart au-dessus de la Méditerranée, ne transporte pas qu’un affreux cabot déplumé et tout un tas de vieilles saloperies au fond de son Caddie, mais aussi des pelletées d’histoires incroyables, dont les héroïnes sont des femmes, que dis-je, des furies, des ogresses débordantes de chair et de vie. Fadéla la dégourdie, Zina la morte, Leïla la putain aux dents d’or, Haffida la dévoreuse, Fatem la poétesse, la blonde Antoinette et d’autres encore. Mères, grand-mères, sœurs, épouses, maîtresses… Tout un univers féminin aussi jouissif qu’étouffant, en butte à la brute lâcheté des hommes.

Hardie, sacrément fleurie et explosive, l’écriture de Minna Sif déborde comme une opulente poitrine du corsage étroit de la bienséance. Elle ne craint pas de tremper sa plume dans les sucs et les fiels, l’amour et la haine étant bien souvent trop emmêlés pour pouvoir les distinguer. Les cris, la rage, les larmes, le sperme et les vers qui rongent les plaies. L’humanité dans toutes ses splendeurs et ses déchéances, excessive et délirante comme l’amour de ces mères du sud pour leur progéniture, à Marseille, aussi bien que dans les douars marocains.

On se perd dans la narration un peu brouillonne, forcément, à l’image de ce bouillon de cultures, d’où jaillissent cependant des envolées de génie. Il y a du fellinien, du rabelaisien… Nul n’y est à une fourberie ou une contradiction près, nous ne sommes pas chez ceux qui pètent dans la soie le petit doigt levé. Ici, c’est avec les poings et le verbe haut que la vie se conjugue. C’est à peine exagéré, comme la vie de Brahim, c’est un vécu du feu de dieu, à moins que ce ne soit celui d’un djoun, et c’est donc aussi forcément marseillais.

Un lexique à la fin permet de s’y retrouver dans les emprunts à la langue arabe et on apprend ainsi qu’Harraguas signifie littéralement « brûleurs de frontière » et désigne les jeunes émigrants qui rejoignent l’Europe clandestinement au péril de leur vie, et que les Hittistes, « teneurs de murs », sont de jeunes diplômés chômeurs qui passent la journée adossés à un mur. Massalia Blues à nous en faire rougir les tympans. Ça se lit avec le sourire, le souffle court et une certaine stupéfaction. Tant de gouaille sous la plume d’une jeune fille, ça ne s’invente pas, ça se vit et se transmet comme un bouton de fièvre. Âmes délicates s’abstenir, mais ce serait dommage.

 

Cathy Garcia

 


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A propos de l'écrivain

Minna Sif

 

Minna est née en Corse, dans une famille originaire du Sud marocain. Elle vit à Marseille où elle anime des ateliers d’écriture dans les quartiers Nord. Son premier roman, Méchamment berbère (Ramsay, 1997), a été réédité chez J’ai Lu, dans la collection Nouvelle génération. Elle a également écrit des nouvelles publiées dans des revues (Gulliver, La Pensée de Midi…) et des ouvrages collectifs : Scandale (Chihab, 2010) et Une enfance Corse (Bleu autour/ Colonna 2010). Auteure associée au Théâtre de la Mer, dans le cadre de Marseille Capitale européenne de la Culture 2013, elle a participé au projet international « Foot(ing) Marseille » en animant de nombreux ateliers d’écriture à destination des jeunes et des adultes.

 

A propos du rédacteur

Cathy Garcia

 

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Rédactrice

Domaines de prédilection : littérature française et étrangère (surtout latino-américaine & asiatique)

Genres : romans, poésie, romans noirs, nouvelles, jeunesse

Maisons d’édition les plus fréquentes : Métailié,  Actes Sud

 

Née en 1970 dans le Var.

Premier Prix de poésie à 18 ans. Premiers recueils publiés en 2001.

A Créé en 2003 la revue de poésie vive NOUVEAUX DÉLITS. http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com

Fin 2009, elle fonde l’association NOUVEAUX DÉLITS :

http://associationeditionsnouveauxdelits.hautetfort.com/

Plasticienne autodidacte, elle compose ce qu’elle appelle des gribouglyphes,  mélange de diverses techniques et de collages. Elle illustre plusieurs revues littéraires et des recueils d’autres auteurs. Travail présenté publiquement depuis fin 2008 et sur le net :

http://ledecompresseuratelierpictopoetiquedecathygarcia.hautetfort.com

Elle s’exprime aussi à travers la photo, pas en tant que photographe professionnelle, mais en tant que poète ayant troqué le crayon contre un appareil photo : http://imagesducausse.hautetfort.com/ Ce qui  a donné lieu à trois Livr’art visibles sur internet dans la collection Evazine :

http://evazine.com/livre_art.htm