Lettres à la Bien-aimée, Thierry Metz (par Philippe Leuckx)

L'écriture innerve, parcourt, possède ses "affluents", écriture de celui qui se dit "ne possédant rien hors du livre".

Celui qui attend que s'éclaire pour lui toute réalité, ne cède jamais au réalisme descriptif mais fonde nombre de réalités dans l'espace dense du poème, mêlant chronique, perceptions diverses, réflexions métaphysiques, observations d'une nature proche, symbolique des "douze dormeurs". La complexe réalité du poème metzien tire sa force d'interprétation de ces agrégats de motifs et d'écritures, tissés de questions, de demandes, de constats.

Le poète se voit avec la distance propre à l'écriture. Il est celui qui cherche, noue, relie, "médite", se retire "sous un arbre" comme un sage, sachant trop bien que le " centre d'un mot/ foyer de ma mort" travaille l'absence et l'écriture du "poète ou manoeuvre".

C'est dire l'importance de cette voix, apte à saisir la "soif" ou "la braise des mots", cheminant "dans l'inépuisable". "Lieu jamais clos/ d'écrire" (p.97)

II. JUSQU'OU ÉCRIRE ?

Quand l'errance a pris la place de la douleur, il a fallu continuer de vivre. Ecrire des "Lettres à la Bien-aimée" gauchère, attendre ses réponses, évoquer la mort, l'unique mort de l'enfant, loin du village le poète reconstruit les scènes ordinaires, table, assiettes, et l'écriture prend toute la place de la table.

"Aujourd'hui l'écriture prend mal, tarde à réchauffer la pièce".

(p.162)

L'écriture dès lors doit remplacer l'absente. "C'est là qu'est le puits".

"Tu es là pour qu'ait lieu une errance ordinaire en conflit avec ce que je suis" . (p.171)

Taraudée de questions, la progression ("une nuit de pourquoi") lancinante creuse encore plus les ressources du vagabond coupé de tout.

"La douleur de l'enfant perdu comme si c'était cela maintenant notre lit". (p.184)

"Récit de nomade, tracé sur le sable, avec un doigt d'enfant" : tel est l'apologue de ces "lettres", adressées à "nos absences", quand la solitude crève l'homme d'une plainte exacerbée, ahurissante ("Ecriture à l'oeil crevé").

Le mot "regard" revient comme délivrance (regarder, la regarder pour en "ramener une constellation"). Le poète clôt son errance sur le nom "Vincent".

Le livre berce ainsi "une voix d'enfant", celle du disparu chéri, et révèle une douleur incommensurable, que seule la poésie sans doute est apte à affronter dans la beauté des mots.

Philippe Leuckx

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Thierry Metz, né en 1956, est mort en 1997. Il a publié une dizaine de livres de poésie de 1989 à 1997.

Citons : "Sur la table inventée" , "Dolmen", "Le journal d'un manoeuvre", "Entre l'eau et la feuille", "Le drap déplié", "Lettres à la Bien-aimée".

Il a reçu les prix Ilarie Voronca et Froissart.

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Philippe Leuckx, né en 1955, est un poète et critique belge.