Les Réputations, Juan Gabriel Vásquez
Les Réputations (Las reputaciones), traduit de l’espagnol (Colombie) par Isabelle Gugnon, août 2014, 192 pages, 18 €
Ecrivain(s): Juan Gabriel Vásquez Edition: Seuil
La presse écrite depuis bien longtemps fait appel à des dessinateurs, et plus particulièrement à des caricaturistes qui peuvent parfois tenir régulièrement la une et dont les dessins sont souvent bien plus commentés que les éditoriaux les plus en vue. En Colombie, au début du XXe siècle, l’un des plus célèbres fut Ricardo Rendón, qui mit fin à ses jours alors qu’il avait tout juste 37 ans, en 1931. C’est avec l’histoire de l’un de ses successeurs, Javier Mallarino, que Juan Gabriel Vásquez nous emporte une fois de plus au cœur de la société Colombienne et au cœur de l’humain. Javier est au fil des années devenu une légende, à la fois admiré, craint et détesté. D’un trait, il peut en effet ébranler, blesser et mettre à bas les réputations les plus solides, les plus établies, il peut défaire les gouvernements, influer sur les décisions politiques simplement avec une feuille blanche et un peu d’encre. Ce pouvoir, Javier Mallarino l’a et il en est même devenu une institution nationale à laquelle l’on rend un hommage des plus officiels dans la grande salle du théâtre Colón de Bogota, avec ministre et émission d’un timbre poste à son effigie.
C’est au cours de cet hommage qu’une jeune femme qu’il a oubliée et qu’il serait bien incapable de reconnaître va à nouveau croiser sa route, le conduisant à revenir sur un moment de sa carrière oubliée. Un moment qui ne fut peut-être pas fondateur mais qui a compté, affirmant sa puissance et son influence et sa capacité à forger les réputations. Un moment aussi pas si glorieux qui ré-interroge le sens de ce qu’il fait encore aujourd’hui. Cet épisode de sa carrière, on lui conseille vivement de surtout continuer à l’oublier car cela pourrait le mettre en danger. Mais il semble qu’il soit bien difficile d’arrêter la mémoire quand elle commence à refaire surface. Difficile aussi d’arrêter la volonté de comprendre ou de savoir qui hante les personnages de l’écrivain colombien, cette mémoire qui s’impose et dont on voudrait qu’elle ne soit pas que mémoire. « C’est une pauvre mémoire que celle qui ne fonctionne qu’à reculons », cette phrase de la Reine blanche à Alice, que Javier a lue à sa fille il y a des années, accompagne le chemin du caricaturiste. Le principal enjeu devient alors peut-être de parvenir à faire fonctionner cette « pauvre mémoire » dans l’autre sens, pour rester en vie et ne pas finir comme son prédécesseur, Ricardo Rendón, dont le suicide incompréhensible s’accompagnait d’un billet sur lequel était écrit : « Je vous supplie de ne pas me ramener chez moi ».
Un court roman que l’on lit d’une traite et dont la qualité d’écriture fait que l’on ne le lâche pas (merci au travail de la traductrice, Isabelle Gugnon). En même temps une œuvre très construite, sans insistances ni lourdeurs, que l’on pourra lire et relire, pour l’étude ou le plaisir, et dans laquelle Juan Gabriel Vásquez poursuit cette interrogation sur la place et le rôle de la mémoire et de l’oubli et sur la capacité de chacun à influer sur le cours des choses, à tenter d’écrire l’avenir sur les pages oubliées par le passé, bien au delà de la Colombie d’aujourd’hui.
Marc Ossorguine
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