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Les Paradoxes de la postérité, Benjamin Hoffmann (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret 11.03.19 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Les éditions de Minuit

Les Paradoxes de la postérité, janvier 2019, 243 pages, 29 €

Ecrivain(s): Benjamin Hoffmann Edition: Les éditions de Minuit

Les Paradoxes de la postérité, Benjamin Hoffmann (par Jean-Paul Gavard-Perret)

 

Les postérités, de l’illusion à l’immortalité artistique.

Nul ne peut se démettre de la « maladie de la mort » (Duras). Elle est là de toujours. Hoffmann rappelle que puisque « au commencement est la mort » chacun se débrouille avec cette idée quasi immédiate de la conscience. Dès trois ans nous saurions déjà à quoi nous sommes voués ou réduits. Cette révélation est pour tout être humain un scandale. Dès lors chacun lutte comme il peut selon ses armes et ses appétits. Certains – les plus sensés – se contentent de peu en assurant la survie de l’espèce par la procréation (assistée ou non).

D’autres plus insatisfaits et impécunieux cherchent d’autres solutions personnelles au problème de la mortalité. Les plus riches laissent leur fortune pour ravir leurs enfants et – au delà – le monde. D’autres espèrent l’héroïsme et d’autres encore – moins matérialistes et plus démunis ou faibles – estiment que seule la partie spirituelle de notre personne nous survivra. Ils font de la littérature la grande affaire de leur vie.

Quelles que soient leurs qualités intrinsèques en leur domaine d’élection, ils espèrent que leurs mots dépasseront leur mort. Hoffmann les estime bien naïfs. Néanmoins il ne les vilipende pas pour autant. Il serait le plus mal placé puisque auteur lui-même. Mais il tient à souligner qu’il s’agit là d’un fétichisme. Celui-ci tente de voiler le néant et notre horizon « d’être-pour-la mort ».

L’auteur rappelle que les conditions de la postérité restent parfaitement aléatoires et toujours relatives. Il se sert dans sa démonstration non seulement de la métaphore mais de la machinerie numérique pour le prouver. Les statistiques sont formelles : la postérité reste très relative. Et la notoriété d’un auteur durant son existence n’est pas une assurance de survie. Combien d’auteurs adulés de leur vivant passent près vite aux oubliettes. Preuve que la postérité passe par des filtres mystérieux que l’auteur expose brillamment.

C’est une manière des plus robustes de rappeler que toutes nos « vacations sont farcesques » quels que soient leurs enjeux. Ce qui n’implique pas de renoncer. Non que le jeu en vaille la chandelle mais tout compte fait la trajectoire est plus importante que l’objectif le plus douteux.

Passes et impasses de la postérité sont nombreuses. L’auteur bat en brèche « la représentation topique du grand écrivain ». D’autant que les paradoxes de la postérité sont pour lui de trois ordres : la croyance, l’identité, la médiation.

La première pare le créateur des fonctions dévolues à Dieu, la deuxième tient à l’importance qu’un écrivain ou un artiste s’accorde à lui-même, la troisième rappelle que tout souvenir d’une œuvre passe par des intermédiaires dont l’impermanence réduit la pérennité des souvenirs posthumes.

Mais qu’à cela ne tienne. A chaque jour suffit sa peine. Et dans le dur désir de durer, le fléchage reste plus vital que la cible. Nul ne peut hypostasier sur l’avenir. Dès lors « Cultiver son jardin » comme l’écrivait Voltaire doit suffire. Lui-même pensait acquérir sa survie par le théâtre. La postérité en a jugé autrement. Ecrire tient donc d’un paradoxe qui peut parfois donner un résultat inattendu et le plus souvent déceptif. Aucun créateur n’a de prise sur la postérité. La notoriété du temps de la vie d’un auteur n’y peut rien. Le fait qu’il demeure inconnu, pas plus. Dès lors, écrivains et artistes, ce livre est donc fait pour vous !

Cela ne doit pas entraîner à renoncer à vos vocations. Il suffit simplement de savoir qu’elle restera une vue de l’esprit. Les plus grands vainqueurs resteront sur un échec relatif : même Shakespeare n’est lu ou connu que par une part infime du monde. Il est vrai, et à l’inverse, que Madame de Warens reste une étoile non filante grâce à celui qui la nommait « Maman » : Rousseau.

Mais les dogmes de l’esthétique de divers temps et lieux se mêlent et se distancient tant et tant que nulle œuvre ne peut être assurée de sa survie. Hoffmann la soumet à vision « psychéenne » qui la plonge en un univers à la fois ouvert et fermé dont les lois restent improbables.

Le diable de la postérité est à leurs trousses mais nul algorithme ne peut en donner la clé. Ce rêve d’immortalité joue sur une nécessaire ambiguïté et un décalage et fait du « pur scripteur » un être à la fois libre et aimanté, lucide et déjanté.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 


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A propos de l'écrivain

Benjamin Hoffmann


Né en 1985, Benjamin Hoffmann est docteur de l’Université de Yale et professeur de littérature française à l’Université d’État de l’Ohio (OSU). Il est l’auteur de romans et d’essais parus en France et aux États-Unis.

Bibliographie (extrait) : Père et fils (Gallimard, 2011), American pandemonium (Gallimard, 2016), Lezay-Marnésia, Letters written from the banks of the Ohio (Pennsylvania State University Press, 2017), Posthumous AmericaLiterary Reinventions of America at the End of the Eighteenth Century (Pennsylvania State University Press, 2018).

 



A propos du rédacteur

Jean-Paul Gavard-Perret

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Domaines de prédilection : littérature française, poésie

Genres : poésie

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Fata Morgana, Unes, Editions de Minuit, P.O.L


Jean-Paul Gavard-Perret, critique de littérature et art contemporains et écrivain. Professeur honoraire Université de Savoie. Né en 1947 à Chambéry.