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les nouveaux robinsons, Ludmila Petrouchevskaia

Ecrit par Léon-Marc Levy 07.11.13 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Nouvelles, Pays de l'Est, Christian Bourgois

Les nouveaux robinsons, octobre 2013, trad. du russe par Macha Zonina et Aurore Touya, 185 p. 15 €

Ecrivain(s): Ludmila Petrouchevskaïa Edition: Christian Bourgois

les nouveaux robinsons, Ludmila Petrouchevskaia

On ne peut trouver d’ailleurs plus ailleurs  que dans ces nouvelles de Ludmila Petrouchevskaia. Géographiquement on est en Russie, mais une Russie tellement vague, fantômatique, qu’elle en devient fantasmée. Narrativement, on s’enfonce dans les dédales d’un monde sombre et étrange, plus profondément encore de nouvelle en nouvelle. Quant à l’univers du style il est fascinant tant il invente une écriture qui allie raffinement et simplicité. Bien sûr on pense à des parentés. A commencer – Russie oblige – par Nicolas Gogol et ses nouvelles fantastiques. Car on oscille dans ces histoires entre un réalisme saisissant, un peu celui du socialisme soviétique de l’après-guerre - et/ou de la Russie post-URSS - et le fantastique presque horrifique. Gogol et ses univers qui, de la vie quotidienne nous bascule soudain dans l’impossible, l’horreur (« Le Nez »). L’autre référence est revendiquée directement par l’auteure dans une des nouvelles de ce recueil :

« Seule la chatte continuait à miauler, comme dans cette célèbre nouvelle où le mari tue sa femme et l’ensevelit dans un mur de briques ; à leur arrivée, les enquêteurs comprennent ce qui s’est passé grâce à un miaulement provenant de l’intérieur du mur, où le chat préféré de l’épouse a été emmuré avec elle et se nourrit de sa chair. »

(Hygiène)

Edgar Poe bien sûr. On retrouve cet univers glacial et cette terreur induite – surtout dans les premières histoires extraordinaires - par de petits déplacements dans les faits quotidiens, comme une condensation d’angoisse, une nuée d’inquiétude qui flotte sur ces univers. Petrouchevskaia montre un art consommé et terrible dans la distillation de l’inquiétude. Un mot, une phrase, une comparaison et la terreur possible est là.

« Elle nous proposa de nous vendre le porcelet contre de l’argent, des roubles en billets, et ce soir-là papa découpa et sala le porcelet mort, qui ressemblait à un enfant dans son chiffon. Les cils de ses petits yeux et tout ça. »

(Les nouveaux robinsons)

Dans « les nouveaux robinsons » (la nouvelle intitulée ainsi), on est saisi par le tableau de la misère rurale qui règne, sorte de tiers-monde glacé dont les personnages ressemblent à s’y méprendre à ceux du Tiers-Monde brûlant et sec. Les enfants errent comme des chiens, sont recueillis au bon vouloir de ceux qui ont à manger tous les jours, ou presque. Des enfants effrayés, effrayants, courant après la vie comme des animaux sans destin. La part autobiographique est large pour qui a lu du même auteur son roman « la petite fille de l’Hôtel Métropole »

« Elle tentait de sauver sa peau et suivait ma mère partout, sur ses jambes courtes, avec son ventre gonflé. »

Drames de la pauvreté, de la tristesse d’un pays, de la solitude. Les nouvelles de Petrouchevskaia égrènent les années sombres. « Il y a quelqu’un dans la maison » dit une nouvelle. Ecrasante comptine sur la solitude :

« Mais on craint tout quand on vit seule avec son chat, que tous les autres ont pris le large, toute sa famille précédente, laissant ce petit cafard humain tout seul, à découvert. »

L’univers de ces histoires est, on l’a compris, des plus noirs. C’est néanmoins avec un humour très kafkaïen qu’elles nous sont contées, une sorte de rire vital, condition de la survie. Rire forcément terrible, forcément tragique.

Ludmila Petrouchevskaia nous offre un monde fascinant et un talent littéraire époustouflant. Chaque nouvelle semble porter le souvenir hanté d’une enfant  qui a connu la faim, le froid, la violence, l’errance ; la petite fille qu’elle nous racontait déjà dans son beau roman « la petite fille de l’Hôtel Métropole » (Publié aussi en français aux éditions Christian Bourgois en 2009)

Elle est, assurément, l’une des plus grandes plumes russes d’aujourd’hui.

 

Leon-Marc Levy

 

VL3

 

NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.

Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.

Notre cotation :

VL1 : faible Valeur Littéraire

VL2 : modeste VL

VL3 : assez haute VL

VL4 : haute VL

VL5 : très haute VL

VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)


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A propos de l'écrivain

Ludmila Petrouchevskaïa

 

Auteur de romans et de pièces de théâtre, Ludmila Petrouchevskaïa naît à Moscou en 1938. Après des études de journalisme à l'Université d'État de Moscou, elle commence à écrire de la fiction. L’année 1972 voit son premier livre publié ; liberté éphémère puisqu’elle sera par la suite interdite de publication pendant dix ans. Pendant ces années de silence, Ludmila Petrouchevskaïa occupera différents postes de journaliste, tant pour la radio, la télévision que pour la presse écrite.
Longtemps censurée, elle connaître avec la fin de l’URSS un véritable succès. Son roman The Time : Night (1992) sera ainsi traduit dans plus de trente langues et sera même mis au programme de nombreuses universités étant considéré comme l'un des ouvrages les plus importants du XXe siècle. En 1991, la Fondation allemande Alfred Toepfer lui a attribué le prix Poutchkine, qui récompense l'œuvre des plus grands poètes russes. En 2002, elle a reçu Le Triomphe, le Prix russe le plus prestigieux, pour l'ensemble de son œuvre et Prix d'État de la Fédération de Russie en 2003.
Parallèlement à ces nombreuses activités littéraires, Ludmila Petrouchevskaïa s’adonne également à la musique et à la peinture. Ses peintures rejoindront les collections du musée Pouchkine et du Musée russe de Saint-Pétersbourg.

 

A propos du rédacteur

Léon-Marc Levy

 

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Directeur du Magazine

Agrégé de Lettres Modernes

Maître en philosophie

Auteur de "USA 1" aux éditions de Londres

Domaines : anglo-saxon, italien, israélien

Genres : romans, nouvelles, essais

Maisons d’édition préférées : La Pléiade Gallimard / Folio Gallimard / Le Livre de poche / Zulma / Points / Actes Sud /