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Les noces de Zeyn et autres récits, Tayeb Salih

Ecrit par Victoire NGuyen 12.04.14 dans La Une Livres, Afrique, Les Livres, Critiques, Babel (Actes Sud), Nouvelles

Les noces de Zeyn et autres récits, traduit de l’Arabe (Soudan) par Anne Wade Minkowski, février 2014, 150 pages, 7 €

Ecrivain(s): Tayeb Salih Edition: Babel (Actes Sud)

Les noces de Zeyn et autres récits, Tayeb Salih

 

Tayeb Salih : l’art de conter


Les noces de Zeyn et autres récits est un recueil de trois nouvelles. Il est composé d’un long récit d’environ 110 pages et de deux autres nouvelles, Le doum de Wad Hamid, et Une poignée de dattes d’une longueur extrêmement courte par rapport à la première histoire.

Dans la première nouvelle, Zeyn, un simplet du village, surprend tout le monde car il va se marier avec la plus belle fille de la région. Il s’agit de la fille du maire, sa cousine, Ni’ma. Elle est réputée pour sa beauté mais aussi pour sa moralité et son caractère bien trempé. De ce fait, comment un homme aussi laid, aussi difforme et aussi peu clairvoyant que Zeyn a pu obtenir l’amour de la jeune femme ? La nouvelle suscite jalousie et envie.

« Halima la marchande de lait s’adressa à Amna qui était venue, comme d’habitude, avant le lever du soleil. Tout en lui versant la valeur d’une piastre, elle lui demanda :

– As-tu entendu la nouvelle ? Zeyn va se marier.

Le pot faillit tomber des mains d’Amna, ce qui permit à Halima de tricher un peu sur la quantité de lait qu’elle lui donnait ».

Cette nouvelle par sa longueur et par l’étude détaillée de la psychologie des protagonistes se rapproche plus du roman. Par l’événement des noces insolites de Zeyn, l’auteur remonte dans le temps et relate l’histoire de cet homme singulier qui malgré son physique et son caractère étrange se révèle être un être doué de compassion et de sagesse. Tayeb Salih verse dans sa prose toute une poésie venue d’ailleurs et qui subjugue le lecteur tant la description des êtres et des choses est à l’opposé d’un Islam rigoriste. Comme le suggère dans la Postface de Anne Wade Minkowski, Salih Tayed opère une dichotomie radicale entre l’Islam relevant du pur mouvement traditionnaliste et celle pratiquée par un walî :

« Par ailleurs, la lecture de ses écrits permet de prendre conscience du clivage qui existe, et que nous connaissons mal, entre une orthodoxie traditionnaliste, représentée par un imam du village, et la mystique musulmane telle qu’elle est pratiquée par un walî, homme qui s’adonne à la prière, la contemplation, le détachement de la matérialité et l’amour du prochain ».

Mais il y a plus encore dans l’art de rendre le récit vivant : Tayeb Salih sait montrer les différentes facettes de l’humanité qu’il dépeint. Ce sont des êtres mués par des désirs contradictoires sans se départir de la tolérance qu’ils éprouvent à l’égard d’autrui. Tous sont solidaires devant les vicissitudes de la vie. Ils se chamaillent, se battent, se jalousent mais sont capables d’empathie et d’amitié. Ainsi, face à la cruauté et à l’insensibilité de son grand-père qui exploite un paysan jusqu’à sa ruine, le petit garçon de la nouvelle Pour une poignée de dattes se dégage de l’étreinte du vieil homme, dégoûté par l’insensibilité de l’homme face à la misère de son voisin :

« Insensiblement, je m’étais rapproché de Mas’oud et ma main se tendit vers lui, comme si j’avais voulu toucher le bord de son vêtement. J’entendis émaner de sa gorge un son qui ressemblait au râle de l’agneau que l’on mène à l’abattoir. Sans que j’en comprenne la raison, une douleur aiguë s’insinua dans ma poitrine. Je pris mes jambes à mon cou pour m’enfuir le plus loin possible, et, ce faisant, l’idée me vint que je détestais mon grand-père. (…) J’atteignis la berge du fleuve, tout près de la courbe qu’il dessine derrière le bois d’acacias. Toujours sans savoir pourquoi, j’introduisis un doigt dans le fond de ma gorge et je vomis les dattes que j’avais mangées. »

Lire Tayeb Salih nous guérit de notre ignorance à une époque difficile où prime la détestation de l’autre et de sa différence. L’auteur nous livre une version de l’Islam radicalement différente telle qu’elle se pratique par la majorité de pratiquants de part le monde. Il décrit avec réalisme les sociétés traditionnelles qui existent et qui cohabitent au Soudan. Le vivre ensemble est un art compliqué et difficile. Ses récits démontrent un certain équilibre. Les noces de Zeyn est une invitation au voyage, à l’ouverture d’esprit du lecteur et à l’acceptation de l’autre dans sa différence. Ainsi, dans la dernière réplique du maître conteur dans Le doum de Wad Hamid se cache probablement la timide prière de l’auteur adressée à nous lecteurs :

« Sans aucun doute, tu vas nous quitter demain. Mais lorsque tu arriveras à ta destination, souviens-toi de nous avec bienveillance et ne nous juge pas trop sévèrement ».

 

Victoire Nguyen

 


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A propos de l'écrivain

Tayeb Salih

 

Tayeb Salih est né en 1929 dans la région du Marawi au Nord du Soudan. Il a fait des études à Khartoum et à Londres. Il a travaillé à la BBC et aux services de l’information au Qatar. Il était conseiller à l’UNESCO. Il est décédé en 2009 et il est considéré comme un très grand écrivain arabe du XXème siècle. Les noces de Zeyn et autres récits est paru en 1996. Il est paru dans la collection Babel chez Actes Sud.

 

A propos du rédacteur

Victoire NGuyen

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Un peu de moi…

Je suis née au Viêtnam en 1972 (le 08 Mars). Je suis arrivée en France en 1982.

Ma formation

J’ai obtenu un Doctorat es Lettres et Sciences Humaines en 2004. J’ai participé à des séminaires, colloques et conférences. J’ai déjà produit des articles et ai été de 1998 – 2002 responsable de recherche  en littérature vietnamienne dans mon université.

Mon parcours professionnel

Depuis 2001 : Je suis formatrice consultante en communication dans le secteur privé. Je suis aussi enseignante à l’IUT de Limoges. J’enseigne aussi à l’étranger.

J'ai une passion pour la littérature asiatique, celle de mon pays mais particulièrement celle du Japon d’avant guerre. Je suis très admirative du travail de Kawabata. J’ai eu l’occasion de le lire dans la traduction vietnamienne. Aujourd’hui je suis assez familière avec ses œuvres. J’ai déjà publié des chroniques sur une de ses œuvres Le maître ou le tournoi de go. J’ai aussi écrit une critique à l’endroit de sa correspondance (Correspondance 1945-1970) avec Mishima, auteur pour lequel j’ai aussi de la sympathie.