Les Enfants Oppermann, Lion Feuchtwanger (par Guy Donikian)
Les Enfants Oppermann, Lion Feuchtwanger, Editions Métailié, février 2023, 400 pages, 23 €
Ecrivain(s): Lion Feuchtwanger Edition: Métailié1933, 2023, quatre vingt dix ans séparent la première publication de ce roman de sa présente seconde édition chez Métailié. Une réédition donc qui intervient dans un contexte fragile pour nos démocraties, une réédition qui elle aussi veut nous alerter de certains dangers, et c’est tant mieux, mais qui s’adresse aussi et surtout à des lecteurs de prime abord acquis à la cause démocratique, en tout cas pour la plupart. C’est toute l’ambivalence de ces publications dont on vante mérite et bienfaits, mais dont on se cache qu’elle ne sera sans doute pas lue par ceux qu’elle vise… Sans doute le ton du livre est-il à l’œuvre dans l’expression pessimiste ici écrite. Et pourtant…
En 1933, l’auteur a fui l’Allemagne pour se réfugier en France, à Sanary, qui lui aura servi pour des descriptions de notre midi méditerranéen, alors que le personnage central a quitté l’Allemagne nazie pour les environs de Toulon. Mais nous nous situons là à la presque fin du roman (sans pour autant en dévoiler la toute fin).
Gustav Oppermann fait partie d’une fratrie juive propriétaire de magasins de meubles à Berlin en ce début des années 30. Si son frère est très impliqué dans la bonne marche de l’entreprise, lui est plutôt attiré par le monde culturel. Il ne suit les affaires qu’en cas de nécessité, ce qui se présente, et le contexte de l’époque le conduit à prendre position sur une question importante qui se pose en raison de la montée et des succès du nazisme. Les Juifs sont la cible privilégiée des völkisch, qui sont de plus en plus agressifs et qui n’hésitent pas à arrêter opposants et juifs pour les humilier, les torturer et souvent les assassiner. L’auteur décrit ces tortionnaires comme des êtres primaires, dépourvus de toute culture (les autodafés sont une fête pour eux), haineux, obnubilés par la parole de Hitler.
L’incipit en tête du livre premier est tiré de l’ouvrage de Goethe, Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister, et résume bien ces comportements : « La populace ne redoute rien tant que la raison. C’est la bêtise qu’elle devrait redouter si elle comprenait ce qui est redoutable ».
Dans ces conditions, le nom Oppermann est évidemment une cible pour les völkisch, et la question se pose de savoir s’il faut faire disparaître ce nom de l’enseigne de l’entreprise en fusionnant avec un concurrent pour éviter le pire, sachant que les destructions de vitrines d’enseignes juives sont courantes, les arrestations qui suivent le sont tout autant. Cette famille juive, bourgeoise, aisée, cultivée, réunit tout ce que les milices hitlériennes, les völkisch, exècrent.
De cette famille, l’auteur va montrer les ravages de l’idéologie nazie des membres jusqu’au plus jeune, lycéen en butte à un professeur principal qui va progressivement infester les mentalités des élèves des monstruosités nazies. C’est insidieusement que ce professeur principal va œuvrer, jusqu’à déformer les faits historiques pour les faire entrer dans les cases du nationalisme exacerbé. Notre lycéen juif va donc se heurter à ce diktat nationaliste lors d’un exposé et les conséquences vont être terribles.
Il en va ainsi des membres de la famille et des employés de l’entreprise. Sur chacun d’eux le sort va peser, parfois très durement, quand certains perdront la vie, quand d’autres devront s’exiler, ce qui est aussi d’une certaine façon une mort.
L’ouvrage, une fois de plus, a été publié en 1933, cette date est importante quand elle nous montre que certains ont été capables de prendre conscience des dangers réels que représentaient les nazis. Cette « idéologie » (les guillemets s’imposent en raison de l’étymologie du terme) a bien sûr des résonances actuelles. Le mensonge est roi aujourd’hui, et plus il est gros, moins il suscite de réactions, et en son nom, des guerres sont déclenchées. Par ailleurs, l’inconscience politique règne également, la preuve dans l’expression « tous des pourris », qui ne renvoie pas à la raison mais à une absence de conscience politique, et devoir être antisystème est la règle. N’était-ce pas le cas il y a 90 ans ? Enfin, l’éducation scolaire pâtit de nombreuses carences, l’absence ou presque de rigueur intellectuelle n’étant pas la moindre, ce que décrit parfaitement l’auteur.
Guy Donikian
Lion Feuchtwanger, né en 1884, s’installe en France en 1933 après que Hitler l’a privé de sa nationalité. Il publie avec Bertolt Brecht le Journal Das Wort, importante publication antifasciste. Il est également l’auteur de romans historiques.
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