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Les dieux de la steppe, Andreï Guelassimov

Ecrit par Cathy Garcia 24.01.17 dans La Une Livres, Actes Sud, Les Livres, Critiques, Roman, Russie

Les dieux de la steppe, novembre 2016, trad. russe Michèle Kahn, 348 pages, 22,80 €

Ecrivain(s): Andreï Guelassimov Edition: Actes Sud

Les dieux de la steppe, Andreï Guelassimov

 

On s’attache vite à Petka, ce gamin dégourdi, inventif, ce bâtard, ce fils de pute comme la plupart l’appellent, puisqu’il n’a pas de père ou tout du moins on ne lui dit pas qui c’est. Petka vient d’adopter un louveteau en cachette, le sauvant ainsi d’une mort certaine, promettant d’apporter en échange aux militaires de la gnole que son grand-père vend en contrebande chez les Chinois, de l’autre côté de la frontière. Petka, dont la mère est très jeune et très dépressive, traîne surtout chez sa grand-mère Daria et le grand-père Artiom. Petka est la cible préférée de toute une bande de méchants garnements menée par Lionka l’Atout, véritable petit tyran, dont la mère fréquente beaucoup les militaires, tandis que le père est au front.

Nous sommes en 1945, dans un petit village au fin fond de la Sibérie nommé Razgouliaevka. Il n’y a pas grand-chose à manger, la vie semble comme au ralenti et l’un des jeux principaux des gamins consiste à chercher Hitler, qui se cacherait quelque part dans le coin. La guerre n’est pas tout à fait finie, une offensive contre les Japonais se prépare.

Il y a aussi à côté du village un camp de japonais prisonniers depuis les combats et leur défaite de Khalkin Ghol en 1939. Ces derniers travaillent dans les mines alentour. Il y en a une dans laquelle ils meurent les uns après les autres, on ne sait pas trop pourquoi. L’un des prisonniers, Hirotaro Minayaga, est médecin, il soigne comme il peut ses compatriotes, mais également les Russes. Les chefs du camp le laissent plus ou moins aller et venir dans la montagne pour ramasser des herbes. Hirotaro comprend qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec cette mine. Au village, des bruits courent et les Bouriates sont depuis longtemps partis à cause d’elle. On dit que les femmes de leurs chamanes donnaient là-bas naissance à des enfants monstrueux. Et puis, il y a Valerka, sa mère y travaillait quand elle était enceinte. Valerka est le seul ami de Petka. Il a une santé fragile depuis sa naissance, personne ne comprend ce qu’il a mais il saigne tout le temps du nez.

Le roman a donc pour cadre la vie de ce village dont les hommes sont pour la plupart absents, morts ou encore au front, et puis celle des militaires et des prisonniers du camp, coincés là les uns comme les autres. Cette narration alterne avec la retranscription de morceaux d’un journal écrit en cachette par Hirotaro Minayaga à destination de ses fils, restés à Nagasaki avec leur mère, où la bombe n’est pas encore tombée. Dans ce journal, il raconte un peu de son présent mais surtout l’histoire de leur famille, ce qui nous plonge dans le Japon des samouraïs et dans l’histoire de la culture du tabac au Japon. On comprend aussi pourquoi Hirotaro qui aurait pu être évacué suite aux combats, a préféré rester prisonnier des Russes. Hirotaro est un personnage extrêmement attachant et un lien va finir par se tisser avec Petka, malgré le patriotisme exalté de ce dernier.

Le ton du roman est ironique, comique même, il y a une sorte de théâtralité, voire de bouffonnerie chez tous ces personnages, ce qui contraste avec le tragique et même le dramatique des situations. On sent ce côté exacerbé, excessif de l’âme russe, toujours prompte à se saouler et à chanter de vieilles chansons nostalgiques, le cœur au bord des lèvres. Il faut bien être excessivement vivant pour contrer la mort, le dénuement et le malheur omniprésents.

Les dieux de la steppe, qui sont-ils ? Les chars mythiques russes de la deuxième guerre mondiale, que l’on appelait « les maîtres de la steppe », ou bien les loups ou encore les esprits des ancêtres bouriates ? Sans doute un peu de tout ça mélangé, à une époque où dans ce fin fond de la Sibérie, le corned-beef et le whisky américain font bien plus rêver que la gnole locale ou des pères revenus du front en héros pathétiques et encombrants.

 

Cathy Garcia

 


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A propos de l'écrivain

Andreï Guelassimov

 

Andreï Guelassimov est né en 1965 à Irkoutsk. Après des études de lettres, il part à Moscou suivre au Gitis (l’Institut d’études théâtrales) les cours du prestigieux metteur en scène Anatoly Vassiliev. Spécialiste d’Oscar Wilde, il a enseigné à l’université la littérature anglo-américaine. Fox Mulder a une tête de cochon, son premier livre, a été publié en 2001. La Soif (Actes Sud, 2004), son second ouvrage, un récit sur la guerre de Tchétchénie publié en Russie en 2002, a confirmé sa place sur la scène littéraire russe. Il a été la révélation des Belles Étrangères russes en France à l’automne 2004, et son dernier roman vient d’être consacré par le Booker Prize des étudiants 2004.

 

A propos du rédacteur

Cathy Garcia

 

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Rédactrice

Domaines de prédilection : littérature française et étrangère (surtout latino-américaine & asiatique)

Genres : romans, poésie, romans noirs, nouvelles, jeunesse

Maisons d’édition les plus fréquentes : Métailié,  Actes Sud

 

Née en 1970 dans le Var.

Premier Prix de poésie à 18 ans. Premiers recueils publiés en 2001.

A Créé en 2003 la revue de poésie vive NOUVEAUX DÉLITS. http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com

Fin 2009, elle fonde l’association NOUVEAUX DÉLITS :

http://associationeditionsnouveauxdelits.hautetfort.com/

Plasticienne autodidacte, elle compose ce qu’elle appelle des gribouglyphes,  mélange de diverses techniques et de collages. Elle illustre plusieurs revues littéraires et des recueils d’autres auteurs. Travail présenté publiquement depuis fin 2008 et sur le net :

http://ledecompresseuratelierpictopoetiquedecathygarcia.hautetfort.com

Elle s’exprime aussi à travers la photo, pas en tant que photographe professionnelle, mais en tant que poète ayant troqué le crayon contre un appareil photo : http://imagesducausse.hautetfort.com/ Ce qui  a donné lieu à trois Livr’art visibles sur internet dans la collection Evazine :

http://evazine.com/livre_art.htm