Le Lynx, Silvia Avallone
Le Lynx, trad. italien Françoise Brun (La lince, 2011, inédit publié par le Corriere della Sera), 64 pages
Ecrivain(s): Silvia Avallone Edition: Editions Liana Levi
Avec ce court récit de cette autrice juste trentenaire (elle est née en 1984), dont le roman D’acier a remporté un important succès en Italie comme chez nous, c’est une véritable petite pépite littéraire que nous offrent les éditions Liana Levi. En une cinquantaine de pages, Silvia Avallone nous montre un de ces basculements comme il peut parfois en survenir dans la vie d’un homme, imprimant irrémédiablement un avant et un après.
Nous faisons rapidement connaissance de Piero, sûr de lui, roublard, séducteur et bien sûr flambeur. Un petit truand qui se la joue et aime à vivre sur le fil, tutoyant plus que nécessaire la justice. Encombré d’une épouse qu’il a connue trop jeune, Piero refuse un peu de vieillir, de devenir raisonnable. Le personnage semble tout droit sorti du cinéma italien des années 60 entre les Vitelloni de Fellini (1), les Ragazzi de Pasolini et Bolognini (2), peut-être frère de Rocco (3). Un de ces trentenaires dont l’adolescence semble s’éterniser, jusqu’à ne jamais finir, jusqu’à devenir un style de vie que rien n’arrêtera jamais.
Un soir d’autoroute et de brouillard, alors que peu de monde traîne encore dans l’univers des aires de repos, Piero et son Alfa (probablement volée) s’arrêtent dans un restoroute. Une serveuse fatiguée en cette fin de journée, et voilà que l’incorrigible Piero sent le coup à faire, le petit casse qui lui procurera quelques jours de vie facile. Sauf que… Sauf qu’il y aura une rencontre inattendue. Imprévisible et improbable. Troublante aussi. Andrea. 16 ou 17 ans. Sorti d’on ne sait où, apparaît cet adolescent fracassé, jeune, frondeur et insolent, fragile et fermé. Adepte des piercing, fumant dans les toilettes tout en lisant une bédé « plus de son âge ». Andrea dont on ne saura quasiment rien – car il n’y a sans doute rien à savoir sur lui, qu’il est lui-même un secret qu’il renferme. Andrea dont la méfiance envers les autres a tourné au défi permanent. Andrea qui va éveiller chez Piero un désir d’aider cet ado qui pourrait être un frère plus jeune, ou même ce fils qu’il n’a jamais eu avec Maria.
Un porte ouverte a entraîné cette curieuse rencontre qui amènera Piero face à d’autres portes, les unes ouvertes et battantes, les autres fermées et interdites. Des portes qui sont autant de possibles, de choix à faire ou d’obsessions à vaincre. Des portes que l’on peut pousser, que l’on peut fracturer, mais qui peuvent aussi claquer.
Sans esbroufe ni effet, Silvia Avallone nous fait sentir et deviner ce qui se joue, sans vraiment le révéler et en faire étalage, pour chacun des personnages de ce presque huis-clos, resserrant le récit sur le cœur des choses, sur les non-dits qui ne se diront pas tout en se faisant entendre. Un art parfaitement maîtrisé qui vient toucher justement à ce qui en chacun n’est pas toujours maîtrisable, qui donne voix aux silences essentiels : ceux où rien ne peut se dire mais où tout peut se décider.
Un petit livre et du grand art.
Marc Ossorguine
(1) I Vitelloni de Federico Fellini, 1953, traduit à sa sortie comme Les inutiles, les vitellonis, ce sont en fait les « gros veaux ».
(2) Les ragazzi / Ragazzi di vita, roman de Pier Paolo Pasolini adapté au cinéma par Mauro Bolognini sous le titre Les garçons / La notte brava, 1959.
(3) Rocco et ses frères / Rocco e i suoi fratelli de Luchino Visconti, 1960, avec un certain Alain Delon dans le rôle titre.
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