Le cœur battant du monde, Sébastien Spitzer (par Guy Donikian)
Le cœur battant du monde, Sébastien Spitzer, août 2019, 445 pages, 21,90 €
Edition: Albin Michel
Après Ces rêves qu’on piétine, Sébastien Spitzer signe un roman qui s’enracine dans le Londres de la seconde moitié du 19e siècle. C’est la révolution industrielle avec son lot d’innovations, de richesses accumulées et de misère inhérente à un système dévastateur du point de vue humain, révolution qui est ici un contexte qui devient un « personnage » essentiel.
Charlotte, une Irlandaise, débarque ainsi à Londres pour y trouver travail et logement. Les circonstances vont faire d’elle celle qui va élever le fils caché (jusque dans les années soixante) d’un certain Karl Marx. Telle est la structure du roman qui suit la vie de Freddy, le bâtard de Marx depuis sa naissance. Sa mère, la bonne de la famille Marx, accouche de Freddy, fruit d’une relation avec l’auteur du Capital alors que l’épouse était absente. Et c’est le premier paradoxe de ce texte qui dépeint un Marx théorisant, à force de travail acharné, les classes sociales que la révolution industrielle va user pour les unes, et favoriser pour les autres. C’est bien une morale bourgeoise qui va exclure de ce monde le fils illégitime dont on aura hâte de se débarrasser. Charlotte, qu’un hasard malheureux va faire rencontrer le docteur Malte, sera donc chargée de l’éducation de Freddy, allant jusqu’à la prostitution pour subvenir aux besoins quotidiens dans ce Londres où la misère le dispute aux révoltes.
Sébastien Spitzer souligne aussi le rapport névrotique de Marx à l’argent. S’il rédigea une lettre de motivation aux chemins de fer, jamais il ne gagna le moindre centime par un travail quelconque, quémandant de quoi vivre à sa mère, puis à son indéfectible ami, Engels. Marx fut de ceux qui sont incapables de garder le moindre penny, à telle enseigne qu’il fut capable d’offrir une fête à des amis et voisins avec les subsides qu’Engels lui octroyait.
Son ami Engels, lui, travaillait, puisqu’il dirigeait une usine de coton qui employait près de quatre cents ouvrières. Le co-auteur du Manifeste exhortait ses ouvriers à la révolte, alors même qu’il chassait le renard en compagnie des pairs du royaume. Comment ne pas s’étonner quand on apprend qu’il va vivre avec deux femmes, deux ouvrières, deux sœurs, au vu et au su de tout le monde. Plutôt étonnant pour la seconde moitié du 19e siècle, à Londres. Et Freddy va vivre dans l’ignorance de sa paternité jusque très tard. Sa mère adoptive, Charlotte, aura toutes les difficultés pour les faire vivre décemment et les circonstances vont le conduire à prendre les armes pour défendre les opprimés de l’Irlande.
Mais tout n’est pas dit, Engels adoptera une attitude qui aura pour but de dédouaner son ami d’une paternité « embarrassante », et si la morale n’est pas sauve, les apparences tout du moins ne pâtiront pas de son attitude.
Le texte de Sébastien Spitzer fourmille de détails sur une époque et une Angleterre, détails anodins a priori, mais qui donnent au texte une réelle crédibilité. Le travail d’écriture (de réécriture) est perceptible et ajoute à l’ouvrage un plaisir qui se superpose à celui de l’intrigue, qui se plaît à mettre en scène les zones grises de l’humanité.
Guy Donikian
Sébastien Spitzer est l’auteur d’un premier roman, Ces rêves qu’on piétine, traduit dans plusieurs pays et couronné de nombreux prix littéraires.
VL3
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