La voleuse de fraises, Eun Hee-Kyung
La voleuse de fraises, traduit du coréen par Lee Myung-eun et Anne-Marie Mauviel (et Jean Bellemin-Noël), octobre 2013, 116 p. 12 €
Ecrivain(s): Eun Hee-Kyung Edition: Decrescenzo Editeurs
Cette phrase « Je ne peux pas dire que je sois quelqu’un de bien. Ce n’est pas non plus mon obsession » qui inaugure la première nouvelle de ce recueil de micro-fictions, celle qui donne son titre à ce livre, donne le ton pour l’ensemble de ces textes, dans lesquels les personnages semblent évoluer comme dans des sortes d’aquariums et l’auteur donne au lecteur la possibilité de les observer ainsi, tels des poissons un peu blafards. Le quotidien de ces personnages est souvent morne et si ça change c’est pour passer au noir, voire au morbide, donnant une sensation d’absurdité. Absurde comme le moment où la mort sans prévenir vient frapper et mettre fin à toutes nos prétentions, mais ici c’est à chaque fois l’autre qu’elle vient frapper. Mort accidentelle et tragique quand il s’agit de celui ou celle que l’on désire « plus on se côtoie, plus on se désire et plus on finit dans une obsession qui ronge le cœur » ou criminelle quand il s’agit de celles et ceux qui nous insupportent. L’écriture de EUN Hee-Kyung, froide, détachée, clinique, appuie sur le malaise, elle rappelle parfois celle de l’écrivain Lee Seung-U.
Ainsi malgré que La voleuse de fraises semble être une victime perpétuelle de la perfidie de son entourage, le style dénué d’émotion de l’auteur, qui ici utilise la forme du récit, ne favorise pas un sentiment inné de sympathie chez le lecteur, qui du coup ne ressent pas forcément de compassion, quand il découvre que cette voleuse de fraises a en fait réglé ses problèmes en développant les automatismes d’une serial killer, pas plus qu’un sentiment d’indignation. Une sorte de nausée le laisse entre deux.
Une autre phrase tirée cette fois-ci de la deuxième nouvelle, Le voyage d’affaires, illustre encore parfaitement le propos de l’ensemble du recueil, « la moitié des pommes étaient gâtées. En les triant, elle s’était aperçue qu’elles aussi pourrissaient à partir du point de contact avec d’autres fruits : c’était comparable à ce qui se passe entre les êtres humains », car dans aucune de ces nouvelles les gens ne se font du bien, tout est voué à se corrompre d’une façon ou d’une autre. Les personnages semblent y perdre en permanence des morceaux d’eux-mêmes, que ce soit leur dignité, comme dans La voleuse de fraises, l’amant pour la protagoniste du Voyage d’affaire, qu’elle perdra deux fois, une fois parce qu’il se marie, même si leur liaison reprendra peu après, et la deuxième fois dans un accident de la route dont elle se sentira coupable, tandis que par ailleurs sa fille, avec qui la complicité s’étiole, perd symboliquement son enfance avec ses premières règles. Enfin, dans la dernière nouvelle Le cirque du soleil, le personnage principal perd son travail et par extension sa vie et son niveau social et devient le simple instrument d’un autre qui perd celle qu’il aime au point d’avoir dérobé la caisse de son entreprise, pour partir avec elle en Australie. Celle qui voulait tant voir Le cirque du soleil périra à la place dans un incendie.
En fait, il s’agit de personnages qui ne cessent de perdre leurs illusions et EUN Hee-Kyung est sans pitié, elle les dépouille sans aucune contrepartie.
Un livre à déconseiller aux dépressifs.
Cathy Garcia
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