La science sociale comme vision du monde, Wiktor Stoczkowski (par Jean-Paul Gavard-Perret)
La science sociale comme vision du monde, septembre 2019, 640 pages, 26 €
Ecrivain(s): Wiktor Stoczkowski Edition: Gallimard
L’anthropologue Wiktor Stoczkowski prouve dans un essai déstabilisant combien Durkheim est le symptôme d’une pensée qui – sous couvert de rationalisme – en devient le contraire. Pour autant, l’auteur de ce brillant essai ne met pas en pièce la pensée de cet « Emile » (très peu rousseauiste) mais uniquement sa manière de forger une idéologie particulière. Elle se fonde contre William James. Leurs deux systèmes ont fondé deux visions opposées de la société. Chez Durkheim, elle devient « neurasthénique proposée par un neurasthénique » Wiktor Stoczkowski, qui par delà le cas précis de l’inventeur de la sociologie offre un point précis sur les sciences sociales naissantes et leurs explications. Elles créent des sortes de théories laïques de salut qui prendront – hélas – toutes leurs forces au XXème siècle en remplaçant Dieu par l’homme rouge ou brun…
L’auteur rappelle aussi combien la cosmologie de Durkheim n’a rien d’astrophysique : c’est une représentation globale du réel à partir du grand système philosophique de l’univers instauré par Kant, sur laquelle le sociologue fonde un système dépressionnaire à souhait. L’essayiste applique non seulement à l’œuvre de Durkheim, mais – à la fin du livre – de celles de ses descendants (Lévi-Strauss, Bourdieu, Bruno Latour), des schèmes opératiques sur leur théorie de la chose humaine et leur vision du monde. Elles sont parfois pseudo-scientifiques. Les mots de normation pour normalisation créent « des fulminations antiphilosophiques » dont de tels penseurs déploient l’indigence pour ne pas regarder la leur.
Cette déformation chère aux normaliens sûrs de leur savoir n’est pas neuve. Cette dialectique discutable, Wiktor Stoczkowski la remonte, de même que ses applications d’un « habitus » déformatif, à plus d’un titre là où la sophistication remplace la raison.
Jean-Paul Gavard-Perret
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