La Route de Lafayette, James Kelman (par Patrick Devaux)
La Route de Lafayette, janvier 2019, trad. anglais (Ecosse) Céline Schwaller, 384 pages, 22,50 €
Ecrivain(s): James Kelman Edition: MétailiéSe remettre du deuil en s’activant de voyager n’est-ce pas mieux se souvenir ? Le jeune Murdo prévoit ce départ, accompagné de son père, après la disparition de sa mère et de sa sœur. Tentative de communication entre deux générations différentes et le « retour des absents dans le geste des vivants ».
De cette façon, « il pouvait y avoir une présence. Avant il sentait quelque chose quand par exemple il mangeait une nectarine ».
Traduite, la langue de base (l’anglais) donne, en français, un rythme bien rendu par la traductrice, Céline Schwaller, tant dans l’action que dans une observation soutenue. On vit dans le roman comme dans un film tant c’est scénarisé avec une sorte de perpétuelle réflexion du protagoniste principal :
« …Tu te demandais à qui il appartenait (réflexion à propos d’un accordéon). Quelqu’un de plus tout jeune. Un vieux. Sans doute écossais, ou irlandais, un immigré ; il jouait peut-être dans un groupe ».
La motivation de vivre et de faire autre chose est transcendée par le souvenir d’un décès : « Les gens avaient prié à l’enterrement. Pourquoi ? Pour ne pas mourir ? Oh Seigneur, je t’en prie, fais-moi vivre éternellement ».
Avec style, le narrateur narre l’évolution des situations comme dans un conte. Murdo fait la connaissance d’un groupe jouant du « zydeco » et qui le poussera à l’expérience :
« Murdo rit. Tu joues dans un groupe ? demanda Sarah.
Ouais… enfin… Murdo la regarda. Tu as toujours rêvé de jouer de la musique ? Murdo haussa les épaules. Ouais.
Elle, elle est écrivain dit Joël.
Je suis pas écrivain.
Mais si.
Sarah soupira, fermant les yeux.
Je veux être écrivain ».
Se profile ainsi une persistante errance :
« Tu rencontres des gens et ils ont une vie, mais toi non ».
En quelque sorte en exil dans la famille de son père, le jeune Murdo va se révéler à lui-même, découvrant histoires de famille et son père proche physiquement mais éloigné de ses réalités et de son souhait d’approfondir la découverte de la musique :
« Qu’est-ce que ça voulait dire de toute façon ? Une musicienne géniale. Pour que Murdo parle de musique avec papa il faudrait qu’il reprenne depuis le début, depuis le tout tout début ».
Dans son sujet, James Kelman nourrit son personnage de réflexions essentielles, sortant parfois étonnamment des sentiers battus, clairsemant son roman de psychologie, de philosophie et autres réflexions humaines avec le chic, chaque fois qu’il dévie de son sujet principal, de récupérer le roman lui-même en se servant de la situation pour faire quasiment un genre « d’essai » sur la condition humaine. La traduction de Céline Schwaller donne le ton global d’une conversation presque courante dans un style net proche de la courte langue anglo-saxonne.
Il faut s’habituer à lire d’une certaine façon dans ce genre littéraire théâtralisé avec un ton proche de celui de Steinbeck, l’auteur des Souris et des hommes :
« Elle (il parle de sa sœur) n’était pas un souvenir. S’il parlait d’elle, comme si elle en était un, alors elle en deviendrait un ». Présence des disparus dans la vie et la continuité. Avec la musique pour évolution personnelle : « Deux accordéons, ça changeait tout. Ça donnait ce son profond et riche qui pouvait être extraordinaire. Tu serrais le poing rien que d’y penser, et tu le sentais dans le gros muscle en haut de ton bras ».
Avec cette idée de musique dans le corps, Murdo souhaite se rendre à La Fayette, avec, bien sûr, une envie accrue de jouer.
Sur fond de conflit paternel, le jeune homme arrivera-t-il à imposer ses choix avec aussi cette réflexion : « La chance, c’est toi qui la provoques dans cette vie ».
Patrick Devaux
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