La nuit de Walenhammes, Alexis Jenni
Ecrivain(s): Alexis Jenni Edition: Gallimard
Mais où se trouve donc Walenhammes ? Dans son dernier roman, La nuit de Walenhammes, Alexis Jenni, qui nous avait conquis avec L’art français de la guerre, situe cette ville, imaginaire ou non, peu importe, dans le nord de la France, cette France industrielle qui meurt depuis plusieurs décennies.
Charles Avril, jeune journaliste, que son patron oublie parfois de payer pour ses articles de pigiste, est envoyé par ce dernier pour enquêter, et restituer si possible quelques données de cette crise économique qui n’en finit pas de frapper et d’engendrer du dommage, de la précarité, de la pauvreté. Charles Avril est fragile, comme personne, comme journaliste. Il doute de son métier, de la pertinence d’internet comme support et source d’information. Il ressent ses écrits comme fugaces, prompts à passer dans la trappe de l’oubli médiatique, peu significatifs et encore moins susceptibles de marquer leur époque, journalistiquement parlant. Pourtant, son patron le convainc de partir, il sera payé cette fois…
Une fois sur place, ce journaliste incertain rencontre de bien curieux personnages : le maire de la ville, Georges Fenycz, qui prétend avoir découvert un atout pour ses administrés : « Le passé est une réclamation infinie, la demande de recouvrement d’une prétendue créance, une plainte. On ne devrait pas se plaindre. Il ne devrait pas y avoir de passé (…) Allons, Devain, c’est notre pauvreté qui est notre richesse ».
Dans cette acceptation, plus logique qu’il n’y paraît, ce sont les dérives du système économique actuel et de l’idéologie libérale qui sont mises en accusation et révélées sous leur vrai jour par un certain Lârbi Mektoub, auteur d’éphémérides commentant chacun un aspect de cette vision du monde et tout ce qu’elle entraîne : l’acceptation de l’inégalité, de la baisse des revenus, de la lutte des salariés entre eux, de la compétition à outrance, vielles antiennes bien connues pour faire accepter des transformations inacceptables…
Au cours de son reportage, Charles Avril rencontre une maître-nageuse, qui tente, tant bien que mal, de subsister, de continuer à vivre. Il se prend d’affection pour une jeune fille qui s’efforce de mûrir par la lecture exhaustive des Démons, de Dostoïevski. La littérature, toujours cet antidote à la brutalité du réel…
Malgré quelques longueurs et digressions discutables, le roman d’Alexis Jenni atteint son but : il parcourt, par l’onirisme et le réalisme entremêlés étroitement, l’état du monde économique actuel. Il le dénonce avec habileté, ironie, humour, au point que la dernière page de l’ouvrage apporte un concours surprenant à la thèse du There is no alternative :
« Répétez encore.
On ne peut pas faire autrement !
Eh bien, vous voyez, quand vous voulez ! »
Stéphane Bret
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