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La mort écrite de Flaubert, Nécrologies, Marina Girardin (par Arnaud Genon)

Ecrit par Arnaud Genon 06.09.21 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Editions Honoré Champion

La mort écrite de Flaubert, Nécrologies, Marina Girardin, éditions Honoré Champion, mai 2021, 464 pages, 68 €

Edition: Editions Honoré Champion

La mort écrite de Flaubert, Nécrologies, Marina Girardin (par Arnaud Genon)

 

Les nécrologies de Flaubert ou la fondation d’un mythe littéraire

Que nous disent les nécrologies d’un écrivain ? En quoi ces textes qui annoncent la mort, qui déplorent, qui célèbrent, qui retracent la vie et l’œuvre permettent-ils d’assister « à la naissance […] d’un véritable mythe littéraire » ? C’est à ces questions que répond la riche étude de Marina Girardin, qui a réuni une centaine d’articles nécrologiques dédiés à Gustave Flaubert. Ils sont ici classés chronologiquement et selon leur genre : « Nécrologies », « Les dépêches et reportages d’obsèques », ou encore « Les portraits, témoignages et commentaires ». Cet ensemble met en lumière la manière dont s’opère « une transformation de la relation critique : par sa mort, l’écrivain devient auteur ».

Comme le remarque la critique dans sa préface, Flaubert jouissait d’une certaine considération de son vivant. Mais sa mort fut rapportée comme un événement dans le sens où elle arriva de façon inattendue. « Rien n’avait fait prévoir ce triste événement », note l’auteur anonyme d’un des premiers articles de presse paru dans le Journal de Rouen, le 9 mai 1880, lendemain de sa disparition. « Vendredi, poursuit-il, Flaubert était dans de bonnes conditions de santé et il se disposait à faire aujourd’hui même un voyage à Paris. Hier matin, M. Flaubert prit son bain ; puis il déjeuna d’un excellent appétit […] se sentant un peu malaise […] on envoya promptement chercher un médecin, mais quand celui-ci arriva, il était trop tard ». Cette « bien cruelle surprise » provoqua ainsi un important traitement journalistique et devint même un « moment discursif » qui permit de mesurer la place de cet auteur dans le champ littéraire de son époque, une « place à part » comme le relèvent nombre d’articles.

Une place particulière, car beaucoup le rattachèrent immédiatement au romantisme, contre le naturalisme naissant et la guerre des écoles dont ce nouveau courant était la cause. Si certains tentaient à l’affilier aux proches de Zola, d’autres le situaient dans une tradition plus lyrique où l’imagination avait une forte place, là où les naturalistes se donnaient comme fin de documenter le réel. La majeure partie des commentateurs s’accordèrent à poser les fondations du mythe Flaubert considéré comme un écrivain « complètement dévoué à son art », si bien qu’il serait, selon Paul Alexis « mort de littérature. […] Une magnifique mort ! Le couronnement brutal, atroce mais logique d’une admirable passion ». Faisant partie de la « race des travailleurs acharnés » selon Maupassant, il s’était, pour Zola, dans le portrait qu’il lui consacra dans Le Figaro en décembre 1880, « donné tout entier aux lettres ». Henry Houssaye soulignait, lui, dans le Journal des débats politiques et littéraires du 16 mai 1880, « l’admirable puissance créatrice » de l’auteur alors que Ferdinand Brunetière évoquait la « curiosité passionnée de la forme, toujours en éveil, toujours en quête ». Théodore de Banville commençait, quant à lui, son témoignage dans Le National en notant que « Le travail, la création, ce fut toute la vie de Flaubert ».

La lecture de ces nécrologies, plus ou moins riches, plus ou moins justes, ont ceci de passionnant : nous replonger dans une époque, un contexte littéraire et montrer surtout, ainsi que le note Marina Girardin, comment l’ensemble de ce corpus « œuvre à la postérité » de l’écrivain. Se construit, dès le lendemain de sa mort, une image tant de l’homme que de son œuvre, qui fait de lui, aujourd’hui encore, une figure incontournable des lettres françaises et un des plus grands stylistes du dix-neuvième siècle. Par ce beau travail, la critique apporte une nouvelle pierre – et pas des moindres – à l’édifice désormais monumental des études flaubertiennes.

 

Arnaud Genon

 

Marina Girardin enseigne la littérature au Cégep Édouard-Montpetit. Ses travaux actuels portent sur la nécrologie d’écrivains.


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A propos du rédacteur

Arnaud Genon

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Rédacteur

Domaines de prédilection : Littérature française et francophone

Genres : Littérature du "je" (autofiction, autobiographie, journaux intimes...), romans contemporains, critique littéraire, essais

Maisons d´édition : Gallimard, Stock, Flammarion, Grasset


Arnaud Genon est docteur en littérature française, professeur certifié en Lettres Modernes. Il enseigne actuellement les lettres et la philosophie en Allemagne, à l’Ecole Européenne de Karlsruhe. Visiting Scholar de ReFrance (Nottingham Trent University), il est l´auteur de Hervé Guibert, vers une esthétique postmoderne (L’Harmattan, 2007), de L’Aventure singulière d’Hervé Guibert (Mon petit éditeur, 2012), Autofiction : pratiques et théories (Mon petit éditeur, 2013), Roman, journal, autofiction : Hervé Guibert en ses genres (Mon petit éditeur, 2013). Il vient de publier avec Jean-Pierre Boulé,  Hervé Guibert : L'écriture photographique ou le miroir de soi (Presses universitaires de Lyon, coll. Autofictions etc, 2015). Ses travaux portent sur l’écriture de soi dans la littérature contemporaine.

Il a cofondé les sites herveguibert.net et autofiction.org