La cavalcade africaine, Mandy Retzlaff
La cavalcade africaine, traduit de l’anglais par Perrine Chambon, septembre 2014, 280 pages, 22,00 €
Ecrivain(s): Mandy Retzlaff Edition: Jean-Claude Lattès
Patrick Retzlaff, arrière-petit-fils du baron Moritz Hermann von Münchausen propriétaire d’une remarquable écurie, est installé depuis 1965 en Rhodésie, un pays qu’il aime à la folie et où, comme son propre père avant lui, son objectif est d’exploiter une grande ferme dans ce que l’on a surnommé « le grenier à blé de l’Afrique ». Mais sa véritable passion, comme un fil tendu entre les générations, est l’élevage et le dressage de chevaux. Sa future femme ne pourra être qu’une personne partageant ses goûts et c’est naturellement que quelques années plus tard, lui, Mandy son épouse, ainsi que leurs trois enfants, emménageront en 1992 à Crofton, dans la ferme de River Ranch avec leurs quatre chevaux, le tout au milieu du bush d’un pays rebaptisé le Zimbabwe. Un domaine paradisiaque (le terme revient souvent sous la plume de Mandy Retzlaff) qu’ils souhaitent un jour transmettre à leurs enfants.
« Défricher le bush pour y bâtir une ferme, c’est un peu comme monter un cheval : vous ne pouvez pas le forcer à vous obéir, vous ne pouvez que lui demander. Comme le cheval, la terre a son caractère bien à elle. Elle peut être obstinée. Elle peut être rebelle. Mais elle peut également vous apporter de grandes joies et vous dévoiler ses secrets si vous apprenez à collaborer avec elle » (p.41).
Ce rêve et cette félicité dureront une dizaine d’années. C’était sans compter sur l’arrivée au pouvoir du président Mugabe dont l’obsession dès le début des années 2000 est d’exproprier les blancs des exploitations agricoles acquises pourtant légalement.
Le pays idyllique devient alors pour tous les blancs propriétaires de terres un véritable cauchemar où la menace de l’expropriation se double de violences entraînant parfois la mort de ceux et celles qui, cramponnés à leurs exploitations, tentent de résister aux réquisitions menées par des proches du régime, officiellement des anciens combattants de la guerre d’indépendance. Le salut prend l’allure d’une fuite et d’une errance qui vont conduire la famille Retzlaff de fermes en fermes pendant de longues années au travers d’un pays devenu hostile. Cette lente et pénible pérégrination improvisée au fur et à mesure de l’avancée des vétérans de Mugabe est non seulement destinée à sauver leurs vies, mais, grâce à l’entêtement forcené de Pat Retzlaff, à protéger leurs chevaux dont le troupeau ne cesse de croître au fur et à mesure de leur traversée du territoire, s’engrossant non seulement des animaux confiés par d’autres fermiers, trop heureux de laisser leurs bêtes de selle à un spécialiste, mais aussi ceux abandonnés et disséminés dans le bush, retournés pour certains à l’état sauvage. Quand finalement repoussés jusqu’aux frontières du Mozambique, sonne l’heure de l’exil, sur les trois cents chevaux récupérés, il n’en restera que cent quatre pour entreprendre un avant-dernier périple au-delà des monts Zumba, avant d’atteindre les rivages de l’Océan Indien où leurs ennuis ne prendront pas fin pour autant.
Le livre de Mandy Retzlaff est un récit palpitant, un témoignage et documentaire précis sur les conditions de vie des fermiers blancs dans une Afrique bouleversée par des guerres intestines, mais surtout un hommage vibrant à tous ces chevaux, victimes malgré eux de luttes et d’enjeux politiques qui leur passent au-dessus de la crinière. On s’attache à leur sort grâce aux multiples descriptions particulièrement vivantes brossées d’une plume experte par l’auteure. Qu’ils survivent ou succombent, se blessent, tombent malades ou jouent, soient dociles ou rétifs, chacun est décrit avec un amour infini et une compréhension totale par cette femme qui les adore. De Frisky à Magie noire en passant par Lady, Déjà-vu, Duchess, Marquess, Tequila ou Grey, on partage leurs souffrances, leurs coups de tête et leurs facéties. C’était le but du récit. Au nombre de pages qui leur sont consacrées, il est clair que ce sont eux les véritables héros du roman. Impossible en dépit du caractère exceptionnel de ce parcours, de cette volonté indestructible d’aller au bout de leurs décisions, de ne pas ressentir pourtant un certain malaise, car si Mandy Retzlaff prend bien soin de décrire également la manière dont sa famille, leurs amis et leurs proches ont vécu cette terrible épreuve, y ont fait face, ou au contraire tenté de s’en abstraire, on regrette que son attention ne se soit pas plus portée sur ces innombrables valets d’écurie, serviteurs en tous genres auxquels ils doivent également leur survie et celle de leurs chevaux. Que sont-ils devenus ? Mystère… Dire que les Africains sont absents de ce livre est certainement exagéré, mais qu’ils y soient, à de rares exceptions près, légèrement transparents, oui.
On gardera toutefois en mémoire le souvenir d’une émouvante saga qui comblera les amoureux des chevaux et un beau récit d’une incroyable et folle lutte contre l’adversité.
Catherine Dutigny/Elsa
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