La Cause des vaches, Christian Laborde
La Cause des vaches, mai 2016, 144 pages, 15 €
Ecrivain(s): Christian Laborde Edition: Les éditions du Rocher
Il y a eu Alès, il y a eu Vigan. Et tout récemment, il y a eu Mauléon, au fin fond du Pays basque. Après Saint-Jean-Pied-de-Port, dépasser Bunus, où jouait il y a peu encore le Théâtre National des Pâturages, ce TNP local, puis franchir le col d’Osquich. C’est là pourtant, dans ce cliché du bonheur Bio possible, que les Vanderdendur de l’agrobusiness remplissent leurs portefeuilles (cuir premier choix, qualité veau pleine fleur).
Les Vanderdendur ? C’est le nom voltairien que Christian Laborde donne dans son nouveau pamphlet, La Cause des vaches, à tous « les voyous, les vauriens, les vandales », ceux qui ont tout pourri, tout saccagé, au mépris du paysan, « un type nourri au lolo de la terre et de l’eau, un gonze qui connaît le patois spongieux des limaces et reçoit sur son portable les textos du vent ».
Laborde est un ours, soit un homme d’enfances, de neiges et de griffes. Un poète boxeur. L’Arthur Cravan humaniste des bovidés vidés de tout le beau : leur animalité même. Il avait cogné contre la corrida. Il remet aujourd’hui les gants pour un combat d’une autre trempe. Un pamphlet ? Allez affronter Tyson à coup de poésie. Et pourtant… Dans ce combat inégal d’un David aux syllabes nues contre l’industrie lourde des Goliath de l’alimentaire, Laborde fait mouche. De celles, peut-être, qui voletaient autour du cul des vaches et que celles-ci chassaient, impavides, d’un indolent coup de queue.
Mais ça, c’était autrefois, les mouches, les coups de queue dans les airs. Désormais il y a urgence. Car les vaches, entassées dans d’immenses usines à lait et à bidoche, sont devenues de sinistres machines vivantes uniquement destinées à produire, produire, produire, pour nourrir nos appétits d’avides carnassiers déréglés et engraisser les comptes en banque. La qualité a beau se chercher des labels, l’abattage masquer son infinie cruauté derrière les nécessités de la demande ou le prétexte du rituel (halal ou casher), c’est la quantité seule qui règle les marchés, toujours plus fière de monter sur les ergots de ses profits exponentiels.
Car derrière la cause des vaches, c’est la cause animale tout entière que défend le pamphlet. Et les faits et les chiffres, donnés par l’association L214 notamment et que Laborde reprend, sont accablants : ici on enferme 1000 vaches (du nom de la triste ferme) et 750 génisses, dans un parangon de l’élevage moderne qui propage partout son atroce modèle ; là on coupe les becs des poules ; là encore, on écorne les veaux, on sépare les agneaux de leurs mères, on castre les porcelets dès les premiers jours et sans anesthésie. On recenserait même, fait inouï sur un plan éthologique, des cas de suicide animal (dauphin, ours…).
On peut reprocher parfois à La Cause des vaches de tirer dans le tas, de mélanger des combats (les tilleuls coupés des bords des routes, Fukushima…), de verser dans des facilités de style ou des redondances. Voire, de manquer de rigueur argumentative. On peut reprocher à Laborde d’éluder un peu vite, et non sans un certain embarras, la question de sa propre consommation de viande. Que faire en effet devant la tentation d’une belle entrecôte ? Est-on passible du pire opprobre ? Faut-il culpabiliser jusqu’au trauma ? « Je demande pardon aux vaches. Mais si je ne sais plus trop ce que je suis, je sais parfaitement ce que je veux : arracher les vaches à l’enfer de l’élevage industriel ».
Reste que le sujet est d’une gravité et d’une urgence absolues, et qu’il faudra bien que tous autant que nous sommes, vegan ou pas, nous nous y colletions pour que l’horreur cesse et que, restaurant la dignité animale, l’homme se donne une chance de redorer la sienne, qui a sacrément du plomb dans l’aile. Et Laborde n’est jamais meilleur que lorsqu’il enfile ses gants de poète, gants de velours pour réveiller tout un rapport au vivant, à la terre, là où « les vaches sont Sylvie Guilhem », gants de boxe lorsqu’il distribue ses uppercuts de métaphores. Lire et relire ainsi le dernier chapitre, La révolte des vaches, chef-d’œuvre d’humour et de poésie, véritable utopie poético-bovine où Orwell semble récrire Corneille, avec ses nombreux enchaînements d’alexandrins blancs qui donnent à la charge révolutionnaire son martèlement têtu de métrique classique (« Et les cuves d’acier, réputées inviolables, après être montées dans l’azur peu affable, ne sont plus que copeaux retombant sur le sol, flocon de fer foutu jonchant la ligne jaune ». Ou plus loin : « Des grognements de joie, de joie et de colère, belles bêtes courant dans le jour retrouvé »).
Après les délires d’une industrialisation à outrance, qui s’est développée au mépris de la considération la plus élémentaire pour le vivant, c’est tout notre mode de (sur)production et de (sur)consommation qui est à repenser de fond en comble : La Cause des vaches est une cause entendue qu’il faudra bien finir par écouter.
Frédéric Aribit
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