L’Unique goutte de sang, Arnaud Rozan (par Stéphane Bret)
L’Unique goutte de sang, Arnaud Rozan, août 2021, 265 pages, 18 €
Edition: Plon
Peut-on radiographier la haine, disséquer les mécanismes du racisme avec une rigueur quasi scientifique ?
C’est à ce voyage, lugubre, à travers l’histoire du phénomène du racisme que nous convie Arnaud Rozan. Dans le roman, Sydney, un jeune adolescent noir, commet l’erreur fatale de céder à son désir pour deux jeunes filles blanches ; celles-ci provoquent sans scrupules ni le moindre regret le massacre de sa famille en l’accusant de viol. Ce qui frappe tout au long des pages de ce roman, c’est la précision des descriptions, la décomposition des actes et gestes, la distanciation avec le côté dramatique et cruel des situations décrites. Ainsi, Arnaud Rozan évoque-t-il la pendaison de deux jeunes filles, Ella et Eulma, par un rappel historique : « Certaines contrées sont maudites par le sort. Le sang s’y verse à doses régulières, comme une rivière sort périodiquement de son lit et se transforme en coulée de boue. La fureur des hommes revenait faire trembler cette terre, où avaient déjà succombé des milliers de soldats dans un fracas de sabots ».
Leur pendaison est évoquée avec une précision chirurgicale, digne d’un rapport d’autopsie médicale. La consternation naît, à cause de l’attitude des bourreaux, du shérif qui intime à la populace l’ordre de rentrer chez elle : « La fête est terminée, je vous conseille de rentrer chez vous, maintenant. Il se fait tard ».
Comme pour illustrer cette malédiction de la violence, de la peur et du racisme qui habite irrémédiablement ses personnages comme une tumeur cancéreuse qui essaimerait avec de nombreuses métastases, l’auteur décrit les états d’âme du lieutenant de police, Whyte, qui sauve Sydney du lynchage : « Quand les spectres d’Ella et Eulma avaient surgi avec leurs tresses aussi noires que le Mississipi, l’adjoint Whyte s’était laissé prendre par la mort. Son âme avait rejoint celle des ombres qui couvaient sous la terre le long du fleuve sombre ».
La culpabilité, le ressentiment, la haine intériorisée aussi bien par les blancs que par les noirs ; tout cet arrière-plan apparaît comme une fatalité à laquelle nul ne peut échapper. En remontant le temps, des lynchages des années vingt jusqu’aux émeutes inter-ethniques de Chicago opposant des Américains d’origine irlandaise à des Afro-Américains en juillet 1919, Arnaud Rozan ajoute un élément au réquisitoire : la police est complice, « La Garde nationale posta ses hommes tout autour de South Side, mais les Irlandais agissaient en toute impunité ».
C’est l’enracinement de la haine dans les cœurs que réussit à décrire Arnaud Rozan, et probablement aussi le rôle moteur de la peur dans les comportements humains les plus extrêmes : le message n’est guère optimiste, n’incite pas à croire que le rêve du pasteur King est atteignable : il restitue un état des choses à l’aune de l’histoire nord-américaine. Lewis, un ancien esclave, n’avoue-t-il pas à Sydney : « Tous ces Blancs autour de nous, continua Lewis, un jour, on danse et on trinque avec eux. Un autre, nous sommes à feu et à sang. Et demain, que se passera-t-il ? ».
Très bon roman bien documenté quant à l’histoire noire américaine et à ses différentes figures. Un seul bémol : l’auteur aurait dû faire figurer ses remerciements au début de l’ouvrage, ce qui aurait facilité la compréhension ultérieure des titres des chapitres du livre.
Stéphane Bret
Arnaud Rozan travaille à Paris dans le secteur public, sur les questions sociales. L’Unique goutte de sang est son premier roman.
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