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L’Œuvre poétique I, Le code de la nuit, Dylan Thomas (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 29.04.24 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Iles britanniques, Arfuyen, Poésie

L’Œuvre poétique I, Le code de la nuit, Dylan Thomas, éd. Arfuyen, février 2024, trad. anglais, Hoa Hôï Vuong, 329 pages, 24 €

L’Œuvre poétique I, Le code de la nuit, Dylan Thomas (par Didier Ayres)

 

Organicité

L’important travail de traduction et de documentation qu’a fourni le traducteur Hoa Hôï Vuong, mérite largement de faire apprécier l’œuvre poétique de Dylan Thomas en France et en tous pays francophones. Cette traduction, qui n’est pas littérale, arrive cependant à restituer une vision du monde, un univers. Cette langue du poète gallois donne à écrire, à voir et à entendre une forme presque archaïsante de la langue anglaise, et, peut-être cette idée était aussi celle du traducteur. Langue nette et brute, lais modernes, écoute d’un son d’Edgard Varèse.

Ces considérations générales ne doivent pas empêcher de considérer cette littérature comme parlant depuis une organicité de la matière, saillant çà et là comme irruption de l’angoisse. Visions faites d’os et de sang, de tout ce qui est sujet au pourrissement, les asticots, la mort, tout cela se racontant comme en une double vie terrestre, vie combattant la mort, faits vifs de chacune des vies, fluidité conduisant au néant.

Que cela soit à la façon d’une immense série d’épigraphies mortuaires, le poème persiste « intranquille » et anxieux. Il y a la mer, le corps parfois souffrant, corps christique de la crucifixion et non pas de la transfiguration. Donc, nudité, langage maigre, sans grandiloquence.

 

Vingt-quatre ans se remémorent les larmes dans mes yeux.

(Enterre bien les morts, crainte qu’ils marchent au tombeau

dans les douleurs du travail.)

Je me suis accroupi à l’entrejambe de la porte naturelle, et là,

J’ai cousu en tailleur mon linceul de voyage sous le clair

Soleil dévorateur de chair.

Tiré à quatre clous, à l’entame de la parade sensuelle,

Des sous rouges plein les veines,

En route vers la ville élémentaire, dans sa direction finale

J’avancerai aussi longtemps que toujours sera.

 

Son monde est dangereux. Il est parsemé de torrents, de flots, d’oiseaux marins, de vent maritime, de la pêche, de la plage, de coquillages, d’air iodé, d’algues, de sable et des marées d’une Angleterre insulaire. Mais ce territoire n’est pas celui du bonheur d’un estivant. Au contraire les bains de mer sont menaçants, périlleux, augurent de la mort. C’est une langue-baïonnette qui s’enfonce dans la propre chair de l’écrivain.

 

Les silences lunaires, la marée silencieuse lapant

Les canaux immobiles, ce très sec maître des marées

Qui pousse ses côtés entre désert et trombe d’eau

Tout devrait nous guérir de nos maux d’eau,

Par la vertu d’un calme uniment coloré (…)

 

Toutes ces forces réalisent un bouillonnement affectif et sensible. La mort ne fait plus peur en quelque sorte. Mort organique qui s’impose et rayonne. Elle va vers le squelette, la dernière présence physique des os, dont la prolifération au milieu des poèmes comme images rend bien compte et assume la profonde noirceur de ces textes. Nonobstant, l’on se retrouve en un sens au sein de certains poèmes chantants d’Arthur Rimbaud. Et peut-être aussi en relation avec H. P. Lovecraft. Cette écriture est forte, inspirée de rêves morbides précédés de tristesse et d’inquiétude, bouffées de signes qu’il faut contenir.

 

Le corps se mit à prospérer, dents chaussées dans la gencive,

Croissance des os, rumeur de la semence de l’homme

Dans la glande sanctifiée, et le sang bénit le cœur,

Et les quatre grands vents, qui longtemps avaient soufflé comme un seul,

Allumèrent en mon oreille le son de la lumière,

Convoquèrent en mon œil la lumière du son.

Et jaune était le sable multiplié,

Chaque grain d’or ayant craché vie en son partenaire,

Et verte dans la maison, et verte sa chanson.

 

De même que l’os préfigure le squelette, le sperme l’humeur humide, ces deux métaphores reviennent souvent sous la plume de Dylan Thomas. Cri de jouissance, liquide à la fois germinal, génital, et à cause de la jouissance : juste désespoir, éternel recommencement des mêmes liquides d’une fausse joie, et plutôt une réelle peine. Telle l’organicité des poèmes va de l’os de la mort à la semence mortelle. Ce liquide pâteux et difforme établit la métaphore des os en l’inversant. Donc, il n’y a rien à sauver, ou peut-être simplement une âme d’artiste qui se rebelle contre le cours désespéré des choses.

 

La nuit approche,

Une forme nitrique, temps et acide, saute sur elle ;

Et je la préviens : avant que le coq jour ne jette

Ses os au feu,

Qu’elle inhale ses morts, et, à travers semence et corps solide

Qu’elle aille puiser à leurs mers :

Or, graves yeux de gitans feus, allez croiser sa main,

Signez-la, et qu’on lui ferme bien le poing.

 

Peut-être faut-il aussi dire deux mots de la représentation picturale qui m’est venue assez vite dans ma lecture. J’ai pensé à Francis Bacon, qui réalise des tableaux où la chair est déchirée, et même si chez le peintre c’est à la chair que l’on doit l’image, la poésie de Dylan Thomas en est proche dans son essence. Ou encore de Chaïm Soutine. Donc, des hallucinations confuses de l’être humain dans sa souffrance terrestre. Chair ni triste ni gaie. Chair pure dans son désordre.

 

Didier Ayres



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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.