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L’Île aux troncs, Michel Jullien

Ecrit par Guy Donikian 20.08.18 dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Roman, Verdier

L’Île aux troncs, août 2018, 124 pages, 14 €

Ecrivain(s): Michel Jullien Edition: Verdier

L’Île aux troncs, Michel Jullien

 

A partir des années 1950, les « samovary » qui enlaidissaient les villes soviétiques, furent déportés sur l’île de Valaam, en région de Carélie, aux confins de la Russie, et toute proche de la Finlande. Les samovary sont ces vétérans de la seconde guerre mondiale qui ont été mutilés des jambes et qu’on retrouve à partir de 1945 mendiant dans les centres urbains de l’Union Soviétique. Ce surnom leur est attribué en raison de la ressemblance de ces corps mutilés avec l’ustensile de cuisine. Le pouvoir soviétique décide leur exil sur cette île perdue sur le plus grand lac d’Europe, dans un monastère désaffecté C’est là que Michel Jullien situe son roman.

L’auteur passe tout d’abord en revue les « pensionnaires » des lieux, nous conduisant d’une cellule à l’autre : « …un samovar par cellule, des tronchets, des Dimitri, des Boris, des Vladimir, des morphologies similaires avec le corps terminé en manière de culot, des hommes ampoules ». Plus loin, Michel Jullien qualifie le lieu pour donner aussi le nombre d’exilés qu’abrite le monastère. « Un bon choix, séjour idéal où déverser une petite communauté d’estropiés gâchant le paysage des centres urbains, quelque deux cents mendigots invétérés, à peine ».

L’occasion aussi de nous rappeler que Soljenitsyne y fait allusion dans son œuvre : « rappelez-vous comme ils étaient nombreux, et pas vieux encore, ces mutilés qui grouillaient à ras terre sur nos marchés, aux portes des cafés et dans les trains de banlieue, à la fin de la guerre ! Rappelez-vous : sans qu’on y prenne garde, en un rien de temps, ils se firent plus rares. On les exila dans une île du nord, parce qu’ils s’étaient fait casser la gueule à la guerre pour la patrie, et afin d’assainir une nation qui s’était illustrée par de si belles victoires ». L’auteur mentionne aussi Les Mendiantsde Brueghel pour illustrer ses descriptions. Une communauté d’estropiés, médaillés, pensionnés (maigrement) et buveurs invétérés de vodka.

Le roman va alors se fixer sur deux des « pensionnaires » de l’île : Kotik et Piotr. Ce sont deux compères qui ont déjà fait route ensemble. D’abord à Moscou, où ils mendient, mais leur quête est peu rentable : « Tcoubien et Sniezinsky avaient beau jouer de leur gambette sur les pavés de Moscou, les profits rendaient peu, les acquêts s’étiolant ». L’un était un « samovar », un culot comme le dit l’auteur, mais l’autre avait une jambe, une seule, un bras aussi. Leur complémentarité leur sera d’un grand secours dans nombre de circonstances. De Moscou, peu rentable, ils se rendront à Leningrad, d’où ils seront ensuite exilés à Valaam, cette île du nord.

Ils font partie des cent trois estropiés, ce 4 octobre 49, qui débarquent sur l’île, premiers colons, « leur démarche sur les mains, le tronc oscillant, un paquetage minuscule accroché dans le dos, leur regroupement sous les mélèzes, cent trois samovars postés sur la grève et l’au-revoir de tous ces bras à l’équipage ». On choisit les cellules, Kotik et Piotr désiraient loger dans la même, mais chacun la sienne, il y a de la place, la cohabitation sera pour plus tard.

Tous deux vouent un culte à Natalia Mekline, une aviatrice, qui a réellement existé, et le soir ils déplient sa photo qu’ils conservent soigneusement, pour la vénérer, s’offrant ainsi une espèce de rituel qui rythme leur confinement sur l’île. Ils se remémorent ses exploits, connaissent tout ou presque de sa vie, son lieu de naissance, Loubny, ses batailles à bord de son Polikarpov, dans le Caucase, en Crimée, en Biélorussie, Pologne, Allemagne… dont elle sortira vainqueur. Et après quatre ans d’exil sur l’île, les deux compères décident d’un voyage à Loubny, pour rendre hommage à Natalia. Ils improvisent une espèce de traîneau, convenant au samovar et à l’estropié à une jambe pour parcourir un peu moins de deux mille kilomètres, sur la neige, dans le froid. Mais un événement inattendu va contrarier leur dessein…

 

Guy Donikian

 


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A propos de l'écrivain

Michel Jullien

 

Michel Jullien a été éditeur. Il se consacre actuellement à l’écriture. Il a publié plusieurs romans, dont : Denise au VentouxEsquisse d’un pendu, et Yparkho.

 

A propos du rédacteur

Guy Donikian

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