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Je t’écris mon amour suivi de Xitation, Emmanuel Darley

Ecrit par Marie du Crest 13.03.17 dans La Une Livres, Actes Sud/Papiers, Les Livres, Critiques, Théâtre

Je t’écris mon amour suivi de Xitation, janvier 2017, 90 pages, 15 €

Ecrivain(s): Emmanuel Darley Edition: Actes Sud/Papiers

Je t’écris mon amour suivi de Xitation, Emmanuel Darley

 

« Et à la fin, l’amour »

Les éditions Actes Sud Papiers viennent de réunir et publier, un an après la mort d’Emmanuel Darley, un volume de deux pièces, dont l’amour, le désir constituent la matière primordiale. La fin d’une œuvre ? La lecture accomplie d’un destin littéraire dont le dernier acte, l’ultime geste d’écriture serait ce qui n’a pas pu être dit tout à fait auparavant : la force vitale de la passion amoureuse ? Les deux pièces s’organisent autour de la distribution de deux couples : ELLE ET LUI dans Je t’écris mon amour et la jeune femme, le jeune homme pour Xitation.

Il y a dans le titre même de la première pièce, justement, la volonté sans doute de poser la question conjointe d’une écriture dramatique repensée et de son objet. Je t’écris mon amour sans mettre de virgule entre le verbe et « mon amour » montre bien qu’il ne s’agit pas là d’une simple adresse, d’une déclaration à quelqu’un, mais de s’engager dans la révélation du comment écrire cela aujourd’hui, dans un texte contemporain.

Emmanuel Darley, en effet, ne se contente pas de réaliser une intrigue sentimentale avec des accessoires « modernes » que seraient un téléphone portable, un clavier d’ordinateur, avec lesquels les deux personnages livreraient leur histoire, mais il met plutôt en œuvre une nouvelle manière d’écrire l’amour au théâtre. Le couple de la femme et de l’homme ; les amants racontent-ils, se racontent-ils ? ou bien peuvent-ils se parler séparément, l’un de l’autre, comme en aparté, relayant le dialogue, les stichomythies (p.10 et 11 pour le premier cas) sur un écran annoncé en didascalie ? Il est question de la « conversation instantanée » soit, comme sur Facebook, mais dans le texte elle fonctionne comme un possible du dialogue, pilier des écritures de théâtre. Le dispositif que Darley élabore s’appuie sur ce qui pourrait faire tirade (Lui au début de la pièce par exemple), mais qui peut tout aussi bien être considéré comme une narration, une écriture de roman, la première de l’auteur et dialogue du virtuel de l’écran. Il faudra d’ailleurs attendre la fin de l’œuvre pour que le dialogue face-à-face du théâtre soit rendu aux deux personnages (p.52).

Le verbe écrire est sans doute le Mot de la pièce, l’acte répété des amants « épistolaires » 2.0. Lui d’ailleurs avoue (p.30) :

C’est une correspondance, oui, qui fait tourner la tête.

La mise en scène de la pièce réalisée par Jean de Page met en évidence ce jeu particulier. Celui de l’écrire qui doit à la fois se dire parce que l’on est devant un public et en même temps montrer que cela n’est qu’écrit. Qu’ELLE ET LUI sont dans l’éloignement de leur vie respective, dans deux villes différentes, avec leur famille. Et que tout l’enjeu, c’est de se rejoindre dans la réalité d’une chambre d’hôtel et dans celle du plateau, en se regardant et en se parlant enfin.

On écrit ça

Ont fait l’amour, à distance

Par clavier interposé.

Darley construit ainsi une progression parallèle dans ce qui est écrit entre eux : parler et avouer. Les « amis » du début et les amants de la fin. Le « on se connaît voilà » et le tutoiement intime final mais aussi dans les jalons narratifs qu’il utilise : les années des premières rencontres anodines pour le travail de Lui et la chronologie passionnelle du rendez-vous, au terme du texte. Un mois, huit jours et enfin, le jour tant attendu. Le discours amoureux, ses étapes forment l’architecture de la pièce. Tout finit par s’accélérer, les mots deviennent « exaltants » ; le désir du corps de l’autre s’empare des personnages. Les fantasmes nourris de la virtualité finalement prennent forme comme le montrent les deux dernières répliques parfaitement symétriques :

LUI – Ce que l’on devinait de loin.

ELLE – Ce que l’on espérait de loin.

Le retour en quelque sorte au « réel », à une forme dramatique ancienne (le duo amoureux) est annoncé par UNE VOIX inscrite dans la liste des personnages, voix d’un coryphée célébrant « ceux qui s’aiment dans les hôtels ». Le Lieu à la place du non-lieu d’un écran. Le triomphe de la Scène.

 

Marie du Crest

 

La pièce d’Emmanuel Darley a été créée par la compagnie Astrov, les 10, 11 et 12 février 2016, à l’Espace B. M. Koltès à Metz, quelques jours après sa disparition.

Une chronique a été consacrée à Xitation.

 


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A propos de l'écrivain

Emmanuel Darley

 

S’il est un auteur prolixe, voyageur du monde, voyageur parmi les hommes, c’est bien Emmanuel Darley (1963-2016). Il fut libraire et d’abord romancier, avec un premier titre publié chez POL, Des petits garçons, en 1993, puis écrivit pour le théâtre à partir de 2001 (Pas bouger, chez Actes Sud Papiers), ainsi que pour les jeunes lecteurs à l’Ecole des Loisirs en 2002. Il anima de très nombreux ateliers d’écriture. Chez le même éditeur : Soldat cheval in Kaboul, ouvrage collectif, 2003 ; Tout autant que vous êtes… in Monologues pour…, 2003 ; Quelqu’un manque, 2006.

La pièce d’Emmanuel Darley avait été sélectionnée par La Voie des Indés en Languedoc Roussillon en 2015.

 

A propos du rédacteur

Marie du Crest

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Rédactrice

Théâtre

Marie Du Crest  Agrégée de lettres modernes et diplômée  en Philosophie. A publié dans les revues Infusion et Dissonances des textes de poésie en prose. Un de ses récits a été retenu chez un éditeur belge. Chroniqueuse littéraire ( romans) pour le magazine culturel  Zibeline dans lé région sud. Aime lire, voir le Théâtre contemporain et en parler pour La Cause Littéraire.