Identification

Je t’écris de Bordeaux, Giuseppe Conte (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 16.06.22 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Italie, Arfuyen, Poésie

Je t’écris de Bordeaux, Guiseppe Conte, éd. Arfuyen, Coll. Neige, avril 2022, édition bilingue, trad. italien, Christian Travaux, 240 pages, 18,50 €

Je t’écris de Bordeaux, Giuseppe Conte (par Didier Ayres)

 

Le seuil

Écrivain italien, Guiseppe Conte s’arc-boute à la poésie comme s’il s’agissait d’une porte, d’un seuil, et devant ce caravansérail le poète jette son regard, ses mots, son corps dans la maison même du poème. Il guette à la lisière de la pensée, l’image, les rythmes, le chant. C’est une poésie de la frontière entre la beauté et l’inquiétude. Que cela soit le corps, la frontière du corps physique, ou une passe vers l’énigme du langage, l’auteur interroge tout aussi bien le souvenir que le caractère organique qui le lie à lui-même. Qu’il s’agisse de suivre avec lui la floraison d’un amandier ou encore de parcourir les effets physiques de l’âge sur sa personne, le poète révèle son secret et sa capacité à se tenir droit devant le point initial de son imagination.

Demande à un amandier en mars

à la rose hésitante du verger.

Demande à un nuage de l’aube.

Demande à un torrent qui déferle sur la grève.

Demande-le à tous les figuiers des jardins

quand les branches tordues et dépouillées

commencent à fourmiller

de bourgeons.

Demande-le à eux.

 

Être devant, face au poème, là où l’aède porte sa voix au monde, nous fait ressentir à nous aussi une voix intérieure, une espèce d’immatérialité des choses, un détachement entre ce qui est et ce qui est écrit, donc nous conduit vers une bifurcation, un croisement. On reste immobile devant la réalité physique de cette étroite porte où court une éternité immuable et cependant toujours ajournée. Le poète se poste devant l’enfance, la mort, la vie, le vieillissement tout aussi bien que devant un arbre, les saisons, ou le lac Michigan.

 

L’Esprit qui nous engendre

comme hommes et qui nous donne le chant

aime la matière et son sein

comme il l’a aimée au commencement, quand

il la pénétra avec un mouvement

tourbillonnant et rapide

jusqu’à ce que la lumière

soit.

 

Poésie de la frontalité, mais gardant une part d’ombre, des profondeurs soudaines, des ciels imagés. L’auteur calque, fait mimésis avec son sujet, mais en restant juste devant, presque tremblant, où son regard peut atteindre. Cette poésie est celle des choses qui commencent, où l’enveloppe spirituelle contraint l’esprit à s’intégrer dans cette demeure du dit.

 

Ma vie, des zones ainsi

combien tu en traverses

que de balancements, de grincements, de sauts

que d’arythmies, que de risques

de perdre de l’altitude et de tomber.

 

Restons donc à la berge de la lumière, dans le périmètre cultivé de la beauté, devant des paysages d’automne, moments pris entre tout et rien, effloraison ou disparition – car l’auteur est susceptible de vieillir et de s’évaporer. Ce qui compte c’est de se situer, de s’orienter, de venir avec le poète au bord de la vérité, dans une échelle de la présence.

 

Didier Ayres


  • Vu: 1067

A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

Lire tous les textes et articles de Didier Ayres


Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.