IntranQu’îllités n°4 - Boîte noire des imaginaires, Revue littéraire et artistique
IntranQu’îllités n°4, Passagers des vents, juin 2016, dirigée par James Noël, 280 pages, 25 €
Edition: ZulmaQue voilà une belle et riche revue. Si vous ne la connaissiez pas (ce qui était notre cas avant de tourner les pages de ce quatrième numéro), sachez que son point d’ancrage, autant que d’encrage (entre encre et rage) est l’île d’Haïti, plus riche de poètes que bien d’autres coins du monde. Avec comme maître à bord James Noël – qui nous avait déjà offert il y a quelques mois une précieuse anthologie de la poésie haïtienne contemporaine – c’est à travers l’exploration tous azimuts du monde des îles que nous sommes emportés. Îles réelles ou imaginaires, politiques autant que poétiques, littéraires et fantasmées ou rêvées. Rêvées et révoltées, aussi. De tous pays, de toutes générations, leurs voix et leurs images nous plongent dans des mondes rapidement ignorés de nos habituelles cartes – géographiques, mentales ou de hasard.
Impossible d’énumérer toutes les escales proposées tant il y en a. Pour autant qu’il s’agisse d’escales. Peut-être autant de points inaccessibles sur les routes marines de tous les exils, là où les frontières se font si confuses que l’on s’y noie. Par milliers et dizaine de milliers parfois, entre les rives de l’indifférence et du fatalisme, du cynisme et de la charité impuissante (1). Ici, qu’importent les cartographies politiques, littéraires… qui lamentablement tracent leurs frontières entre les corps comme dans les têtes. Lamentablement mais hélas trop efficacement.
C’est un sacré voyage qui nous est proposé, résonnant de mille voix, avec quelques grandes séquences qui nous permettront de ne pas trop nous égarer, de nous retrouver aussi : manifeste pour un monde nouveau ; le monde des lettres… ; pile ou face ; de la poésie avant toute chose ; tous les vents du monde ; déclic. Quelques noms pour achever de vous convaincre ? René Depestre, Gary Klang, Pia Petersen, Aimé Césaire, Nancy Huston, Christiane Taubira, Jorge Luis Borges, Michel Onfray, Rodney Saint-Eloi, Karim Miské, Gauz, Jacques Stephen Alexis, Makenzy Orcel, Hubert Haddad, Ernest Pignon Ernest… Photographes, écrivains, peintres, sculpteurs… Découverte ou redécouvertes garanties !
On pourra être dérangé par « l’esthétisation » que suppose un tel projet. Les souffrances et les révoltes transformées en bel objet qui ira trôner sur une étagère où il prendra bientôt la poussière… Passe pour la poésie et les rêveries (et encore)… Mais pour la colère qui s’impose, pour la rage de vivre en dépit de tout, pour la liberté… Est-ce bien là qu’elles ont leur place ? Encore un peu et l’on en fera un volume à étudier en classe, entre deux sonneries et deux endormissements ! Un comble. Dans la rue la musique ! chantait Ferré il y a quelques décennies. On se dit que là aussi, ce n’est pas dans la confidentialité des bibliothèques de « lettrés » que tout ce qui se dit devrait être entendu, que tout ce qui se fait devrait être vu… L’intranQu’îllité risquerait de bien vite être étouffée par le silence des pantoufles (2).
Il n’y aurait alors plus qu’une chose à faire : la partager, aller en dire les textes partout où ils pourraient être entendus (pas forcément bien écoutés, car ceux qui écoutent sont bien souvent déjà convaincus et c’est à ceux qui n’écoutent pas qu’il faudrait faire entendre…). Revue à lire, à dire, à montrer… A partager par tous les moyens possibles.
Marc Ossorguine
(1) Magnifique et terrible texte de Christelle Evita, Massacre à la frontière
(2) Expression empruntée à Daniel Mermet
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