Il fait nuit chez les Berbères, Mohamed Nedali (par Abdelmajid Baroudi)
Ecrit par Abdelmajid Baroudi 15.06.25 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Essais, Maghreb, Editions de l'Aube
Il fait nuit chez les Berbères, Mohamed Nedali. Ed. de l’Aube 2025. 280 p. 19 €
Edition: Editions de l'Aube
Le rapport à la terre dans Il fait nuit chez les berbères se construit dans la langue, en l’occurrence la langue amazighe. Tizi ounddam (le col du poète) marque la transition. On n’est plus dans la relation d’une langue à une géographie qui nous renvoie à une altérité dans laquelle l’animal est le trait d’union qui relie l’espace à l’Homme. Ifri n’izem (la caverne du lion), Tizi n’tscourte (le col du perdrix), tous ces lieux marquent l’altérité que seule la langue amazighe détient l’histoire et les secrets. Il se trouve que Tizi ounddam représente la transition, le passage de la nature à la culture, en assignant à la géographie une connotation humaine. Il s’est avéré que l’espace exprime sa subjectivité et s’installe une fois pour toute dans la créativité.
L’académie française définit l’acculturation comme suit : « Adoption progressive par un groupe humain de la culture et des valeurs d’un autre groupe humain qui se trouve, relativement à lui, en position dominante. Par extension. Adaptation d’un individu à une culture étrangère. »
Force est de constater que l’acculturation est un ajout d’ordre culturel qui se répercute sur la culture locale. Lequel ajout se caractérise en général par des changements que provoque la modernisation et auxquels un groupe humain doit progressivement s'adapter.
Tizi ounddam, tout comme les villages qui subissent l’enclavement et la marginalisation, fait l’objet de l’acculturation. Sauf que cette acculturation s’anime dans le contraste. Dans Il fait nuit chez les berbères, le progrès que ramènent les nouvelles technologies d’information et de communication a eu un impact sur la mentalité des gens de Tizi ounddam. L’ajout de l’acculturation s’est répercuté, non seulement sur la mentalité, mais aussi sur la relation de la personne à son corps. La vulgarisation d’antennes paraboliques facilitant la captation de chaines dédiées aux films pornographiques a eu un impact sur les interactions des gens et leur vision des rapports sexuels qu’anime le contraste. L’exemple cité dans Il fait nuit chez les berbères illustre l’énorme décalage entre le plaisir que procure la normalité et le désir intense et fantasmé que stimule un film pornographique. Il s’agit d’un homme que sa femme a surpris en train de regarder un film pornographique. Il a tout de suite zappé et a orienté sa télécommande vers Iqraa, la chaîne de télévision arabe qui diffuse en boucle des versets coraniques.
La mosquée de Tizi ounddam n’a pas été épargnée de ce changement que l’acculturation a causé. La mosquée était le lieu, non seulement de culte, mais également un espace de concertation et de démocratie participative. On y discutait de la chose locale. Aujourd’hui, la mosquée est devenue un lieu de propagande politique et religieuse. Les prêches du Vendredi sont confectionnés sur mesure afin que le croyant n’y trouve aucune contradiction. Il lui est interdit de se questionner sur le sort de la cité. Il doit se contenter de ce qu’on lui impose comme discours et répéter avec l’Imam : Amen. En revanche, l’islam politique a pour objectif d’éradiquer la langue et la culture. Il veut imposer un mode de vie à l’image de ce que les islamistes appellent le retour à l’ère des califes. Aux femmes de se couvrir tout le corps et aux hommes de laisser pousser les barbes. La personnalité du personnage de Omar doit s’assimiler à Omar le calife.
La langue est le moteur de l’endoctrinement. Mais quelle langue ? la langue du coran, la langue des récits hagiographiques, la langue de Boukhari et compagnie. La langue exerce son pouvoir sur ceux qui ne l’ont pas apprise. Et à travers cette langue, le manque qui se rapporte au désir, devient satisfaction, voire plaisir. Omar est une proie idéale pour que la langue lui inflige tous les maux de culpabilisation. Il n’a, ni lu, ni écrit, autant lui imposer la langue, la seule langue qui va lui éclairer le vrai chemin du paradis, de salvation. La tâche est rude pour lui. Il doit tout faire pour se reconstruire dans une langue qui n’a jamais parlée auparavant. Sa mission consiste à vulgariser au sein de Tizi ounddam la langue de l’islam conformément aux directives de la mouvance. L’universel doit primer sur le local. Ce faisant, l’arabe, cette langue du coran est la seule langue qui peut exprimer notre spiritualité et notre vision du monde, contrairement à l’amazighe qui nous renferme dans une identité locale et ne nous permet pas de nous ouvrir sur l’univers. C’est aussi sûr que la Kaaba est le centre du monde, pour paraphraser l’écrivain. Ne s’agit-il pas là d’une atteinte, non seulement à la langue amazighe, mais également à l’arabe ? Devons-nous rester prisonniers de cette propagande qui islamise la langue, selon laquelle, l’arabe est la langue de l’islam ? La poésie, le roman, le théâtre, l’essai, toutes ces expressions écrites prouvent que la langue arabe ne doit pas être cantonnée derrière une posture religieuse. Elle est synonyme de créativité qui prouve qu’elle est prédisposée à se moderniser.
En relisant Il fait nuit chez les berbères de l’écrivain Mohamed Nedali, j’ai constaté que ce texte ne se borne pas à la métaphore et la fiction. C’est un écrit qui a réussi à rallier le roman à l’essai. La preuve, c’est que l’auteur a fourni un grand effort d’analyse pour déconstruire la machine d’endoctrinement dont la langue est décisive. Il a fouillé dans les interstices de cette machine infernale pour nous expliquer en détail l’influence de cette mouvance sur les individus, prêts à faire l'objet d'endoctrinement. Cette exercice exige que l’on pioche dans les récits hagiographiques, les versets coraniques tout en se référant à la biographie des califes. C’est un travail colossal que l’écrivain a fait en vue de nous éclairer sur toutes les composantes qui ont contribué à forger la personnalité du personnage de Omar.
Abdelmajid Baroudi
Mohamed Nedali, né à Tahannaout, dans la région de Marrakech en 1962, est un écrivain marocain et professeur de français.
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A propos du rédacteur
Abdelmajid Baroudi
Abdelmajid Baroudi
Ex enseignant de philosophie au Maroc
Acteur associatif
ex collaborateur résident au Maroc du magazine canadien tolérance .ca
Publie sur le site Al awrak