Hot Stuff, Les Rolling Stones en 18 leçons, Milan Dargent (par Guy Donikian)
Hot Stuff, Les Rolling Stones en 18 leçons, Milan Dargent, mai 2022, 134 pages, 15 €
Edition: Le Mot et le ResteCe petit ouvrage n’est pas un énième livre sur les Stones, sur lesquels tout a été dit ou presque, il y a là des réflexions qui tentent de comprendre pourquoi tant d’années après, les vieux ados adulent toujours « the greatest rock’n’roll band in the world », pourquoi aussi ce groupe est toujours là, comme hors du temps, pourquoi les « glimmer twins » fascinent encore, pourquoi…
Les réponses sont faites de rappels de certains faits, de certains gestes ou comportements des Stones, mais aussi, avec une dose d’autodérision des raisons plus personnelles que l’auteur esquisse, invoquant la façon dont les mots et les gestes des cinq gaillards entrent en résonance avec nos attentes, nos espérances, notre avidité aussi de se saisir pour un temps, (celui d’une chanson, ou simplement d’un solo, ou d’un refrain) de ce que les musiciens vivent, ne serait-ce que sur scène, puisque c’est là que tout se joue, que tout se montre, que les excellences mais aussi les carences se font jour.
Et puis, quand on a écrit Sympathy for the devil, plus tôt Satisfaction, on sait qu’on entre en sympathie avec ce qui se joue dans chacun, on ne s’étonne donc plus de provoquer le pire (Altamont) et le meilleur émotionnellement.
Ce sont donc dix-huit leçons, ou chapitres qui émaillent le propos, en alliant leur véritable histoire et le mythe, la réalité de la vie du groupe avec les fantasmes. Et l’histoire commence en juillet 1961 sur le quai de la gare de Dartford ; la rencontre, fortuite, va augurer des décennies de création, cela, on le sait tous, comme on sait que ce sont les disques que Jagger avait sous le bras qui sont pour beaucoup dans la rencontre. On oublie un peu vite, selon l’auteur, que s’ils ont été à l’origine de nombreux « bootlegs », eux-mêmes ont été fans de Chuck Berry ou de Muddy Waters. Et c’est tellement vrai qu’ils enregistrent en 2016 un CD entièrement composé de reprises de blues. D’où le titre d’une des leçons, « pas d’arbre sans racine ».
C’est ce type « d’exercice » que nous soumet Milan Dargent, pour mieux expliciter la longévité du groupe et l’emprise du mythe, et c’est plutôt convaincant ; tout comme l’une des raisons de la longévité du groupe réside dans l’économie de moyens exploités par les musiciens. On est loin des envolées, parfois ampoulées, de guitaristes des sixties ou des seventies jouissant à l’écoute de leurs opus. Ici, on reste dans l’efficace, on vise l’essentiel, et leurs deux premières décennies seront à la fois celles de la créativité et celles de l’essentiel : « Il n’y a pas d’époque avec les Rolling Stones, ni avec Flaubert, il y a la littérature et la musique dans leur quintessence, de chair et de muscle, transcendantes ». Economie de moyens comparable donc à celle d’un Flaubert en littérature, caractérisée par un style impersonnel.
Pour mieux appréhender leur musique, il faut aussi se remémorer les moments difficiles vécus par les Stones. « Les Stones vécurent des choses que l’on peut qualifier de difficiles, à partir de 1967 : l’arrestation, suivie de prison de deux d’entre eux lors d’une drogue party de campagne, le décès sordide de Brian Jones, le festival cauchemardesque d’Altamont, les turpitudes toxicomanes de Keith Richards entre une multitude de drames plus intimes, qui nourriront l’inspiration de leurs albums d’alors. Ce qui se dit dans Let it bleed, Sticky fingers, Exile on main street, ne relève pas de la catégorie du madrigal ou du sonnet d’amour courtois. N’y sont décrits que des personnages autodétruits, impuissants, déprimés, en loques et guenilles, drogués jusqu’à l’os et par là-même au bord du trépas ». Des portraits tout aussi tragiques sont décrits dans Wild horses, Sway, Dead flowers ou encore le fameux You can’t always get what you want.
Tout au long du texte de Milan Dargent la surprise de les aduler encore, pourtant d’un autre temps, la joie aussi de les retrouver sur leurs albums, la frustration encore teintée d’une autodérision pleine d’humour, une empathie pour les « vieux-jeunes » sont autant d’interlignes que l’auteur rend lisibles et intelligibles.
Guy Donikian
Milan Dargent né en 1960 a écrit plusieurs romans, qui ont tous à voir avec le rock, aux éditions du Dilettante et à la Fosse aux Ours.
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