Histoire, Claude Simon
Histoire, février 2013, 424 pages, 9,50 €
Ecrivain(s): Claude Simon Edition: Les éditions de Minuit
Publié en 1967 et aussitôt couronné par le Prix Médicis, Histoire de Claude Simon vient d’être réédité par les éditions de Minuit dans leur collection Double. Histoire ? Majuscule ? Minuscule ? Singulière ou plurielles ? Le titre, qui pourrait passer pour un pléonasme dans la grande catégorie littéraire du roman, a au contraire chez Claude Simon tout d’une antiphrase.
Quelle « histoire », donc ? Le livre entrecroise, télescope en effet plusieurs époques, plusieurs lieux, plusieurs micro-récits qui s’interpénètrent, se parasitent les uns les autres. Ce sont autant de scènes fondatrices, traumatiques ou symboliques, que l’écriture mêle ou démêle, prend, perd puis retrouve, en une logorrhée magistrale, un étourdissant continuum de mots que vient à peine interrompre parfois, de loin en loin, une ponctuation minimale. On y repère, disséminés dans cette pâte verbale qui entend coller au plus près du flux de conscience, des moments de la guerre d’Espagne ou de la Seconde guerre, les cartes postales d’un père parti aux colonies, fragile vestige d’une ascendance décimée, une troublante cueillette de cerises, ou encore d’innombrables ekphrasis qui se renvoient, en un kaléidoscope capiteux, leurs miroirs d’images, tout cela alors que le narrateur, visitant une vieille maison de famille que frôle un acacia immémorial, est envahi par le magma des souvenirs.
Dans cette écriture qui semble vouloir épuiser le paradigme mémoriel jusqu’à l’essoufflement, jusqu’à l’impossible « mot juste » qui en serait le terme accompli, ce sont, jaculations après jaculations, comme des élans d’automatisme passés au crible d’un véritable travail flaubertien. Claude Simon, d’ailleurs, ne cache pas sa dette envers Faulkner. On en sort forcément étourdi, hagard, incapable souvent d’ordonner l’immense puzzle romanesque qui ne cesse de s’effriter, de tomber en morceaux, de déjouer l’idée même d’ordonnancement. Le risque, avec Claude Simon, c’est finalement de laisser le lecteur sur la touche. Est-ce le fait d’une technicité qui confine paradoxalement à l’artifice ? Est-ce de réclamer une disponibilité de lecture qu’il n’est pas toujours « humainement » possible d’offrir ? Est-ce donc l’inégalité d’écriture ou de réception qu’il faut incriminer ? Toujours est-il que, contrairement à La Route des Flandres par exemple, ou plus récemment, aux meilleurs pages d’un Lobo Antunes, Histoirepeut parfois ressembler, on ose à peine l’écrire, à une ahurissante machine littéraire qui tourne seule, à vide, repliée sur elle-même. Comme un livre autarcique, qui vivrait presque mieux sa trépidante vie de livre sans vous, refermé sur l’étagère.
Frédéric Aribit
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