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Guerre perdue, Pascal Boulanger

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret 14.12.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Passage d'encres

Guerre perdue, octobre 2015, 40 pages, 5 €

Ecrivain(s): Pascal Boulanger Edition: Passage d'encres

Guerre perdue, Pascal Boulanger

 

L’ordre du poème

La multiplicité du monde est transformée en visages biaisés par les miroirs des conteurs officiels de l’Histoire ? Ils donnent des directions douteuses aux tissus des vivants dont les pouvoirs ont déchiré l’existence. Aucune langue n’a été fondée sans une Histoire officielle. Elle prétend s’aventurer en direction du soleil nu. Mais jusque chez les peuples aux pieds nus et revêtus du seul étui pénien, le récit reste toujours le même. Si bien qu’à la question que pose Pascal Boulanger :

« En souffle dans des cornes de brume

les seuils succèdent aux deuils

que vaut la vie d’un homme ? »

la réponse est toujours la même : « rien ».

Ce qui n’empêche pas – bien au contraire – les effets de parures et de stèles. Nous naviguons en pauvres hères dans le corps des langages comme Bouvard et Pécuchet. Comme eux nous pensons triompher de tout ce qui est étranger au livre et lui résistons, en nous estimant (parce qu’on nous le fait croire) nous-mêmes le mouvement continu du Livre (à son sous-sol : les soubassements ironiques du Dictionnaire des Idées reçues) et ses deux possibilités : l’une décide la création du monde. L’autre énonce la connaissance du bien et du mal.

Tel est le bi-théisme du livre de l’Histoire. Il s’agit de deux lieux ou divinités très distincts. L’un crée un monde mauvais. L’autre modèle l’homme. Mais si le temps des livres a commencé avec cette guerre des dieux, l’Histoire reste la simple corollaire de la différence des mots et du défilé de marionnettes ouvrant sur toute une profondeur de visions emboîtées. A cela Pascal Boulanger propose son démenti. Contre la frénésie des récits qui toujours se rapportent au présent historique d’un temps et d’un pays, le poète s’élève contre la fureur du réel et des traditions mythiques.

Face à ce qui nous est (ra)conté par les narrations miroirs des pouvoirs qui prétendent nous guider dans leurs propres dédales, Pascal Boulanger désoriente les récits qui se superposent. Il en désamorce la charge de mensonges. Tout devient plus lumineux dans le visible, du plus sombre dans l’ombre. L’auteur n’est pas le premier : certains ont opté pour la dérision (celle du Quichotte par exemple). Mais pour l’emporter sur la « raison » des récits, Boulanger opte pour un autre horizon : le chant anti-lyrique, un chant lourd, à la façon du Chant ivre qui ponctue pour Nietzsche, dans le Quatrième Livre deZarathoustra : celui qui fait la part belle à la Fête de l’Âne et sa « queue de crapaud ».

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 


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A propos de l'écrivain

Pascal Boulanger

 

Pascal Boulanger, né en 1957, vit et travaille, comme bibliothécaire, à Montreuil. Parallèlement à son travail d’écriture, il cherche depuis une vingtaine d’années, à interroger autrement et à resituer historiquement le champ poétique contemporain qui, pour lui, passe par la prose. Marqué par la poésie rimbaldienne et le verset claudélien, il a donné de nombreuses rubriques à des revues telles que Action poétique, Artpress, Le cahier critique de poésie, Europe, Formes poétiques contemporaines et La Polygraphe. Il a été responsable de la collection Le corps certain aux éditions Comp’Act. Il participe à des lectures, des débats et des conférences en France et à l’étranger et il a mené des ateliers d’écriture dans un lycée de Créteil en 2003 et 2004.
Il a publié des poèmes dans les revues : Action poétique, Le Nouveau Recueil, Petite, Po&sie, Rehauts… 
Parmi les études qui lui ont été consacrées, signalons celles de Gérard Noiret dans des numéros de La Quinzaine Littéraire, de Claude Adelen dans Action poétique, d’Emmanuel Laugier dans Le Matricule des anges, de Bruno Cany dans La Polygraphe, de Serge Martin dans Europe et une analyse formelle de Jean-François Puff (sur le recueil : Tacite) dans Formes poétiques contemporaines.

 

Source : Maison des écrivains


A propos du rédacteur

Jean-Paul Gavard-Perret

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Domaines de prédilection : littérature française, poésie

Genres : poésie

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Fata Morgana, Unes, Editions de Minuit, P.O.L


Jean-Paul Gavard-Perret, critique de littérature et art contemporains et écrivain. Professeur honoraire Université de Savoie. Né en 1947 à Chambéry.